QUARTIER d'été 2022 | Nationale 4 à esperanzah!

Sous le bras, une pelleteuse, un brassard de natation, une plume, un gilet jaune, un déboucheur Technik produit par la firme Realco et… une caméra sur pied, quand même. Que manigance l’équipe de Nationale 4 par ces (trop) beaux jours d’été, en plein milieu du festival Esperanzah! ?

Après nos investigations du printemps, nous voulons en savoir plus sur celles et ceux qui questionnent le béton, sur leur territoire, leur savoir, leur motivation, leur perception. Nous nous faisons une petite place dans le réseau “Occupons le Terrain”, qui tient un stand au festival  Esperanzah!, à Floreffe. Occuper le terrain : ça tombe bien, les organisateurs du festival en on fait leur slogan pour leur vingtième édition. Pendant quatre jours, Nationale 4 dépose donc ses valises et plante sa caméra dans le Namurois.  Voici ce que nous y avons appris…

Occupons le terrain!

Jeudi 28 juillet 2022. Le soleil tape sur un sol durci.  Esperanzah! ouvre ses portes. Le mouvement citoyen  “Occupons le Terrain!” (OLT) y a installé ses quartiers : quelques palettes, planches, châssis, clous et vis, le tout habilement ajusté. 
OLT, c’est un réseau de mobilisation de collectifs citoyens et associations en Wallonie et à Bruxelles. Son objectif est de préserver les ressources naturelles communes (eau, air, forêts, terres agricoles, biodiversité, …) en coordonnant et en instaurant une solidarité entre les lieux de lutte à travers le pays.
 
Dans le stand bouillant, durant ces quatre jours, s’organise l’information à travers des outils concrets, comme ce manuel de résistance aux projets inadaptés et nuisibles. Il y a des pétitions à signer, des ateliers, sous forme de jeux ou des micro-trottoirs dans l’espace public.
 
Et au centre une cartographie des luttes wallonnes et bruxelloises, appelée à s’étendre à la Flandre. Ils s’appellent Champ des Cailles, Stop Alibaba, Barricades, La Chartreuse,… Ils sont des collectifs de citoyens et d’associations se mobilisant pour la préservation des territoires et des ressources. Liège et Bruxelles remportent la palme, clairement. Pour l’instant.
 
Avant d’entrer en immersion au sein d’OLT, nous avons soupesé la part de risque. Pour nous, chacun garde son rôle. “Occupons le terrain” appuie la coordination des collectifs en résistance, Nationale 4 reste un média.
 
D’une part, nous apportons l’éclairage de notre propre enquête, sur ce bout précis de route qui nous occupe pendant neuf mois entre Wavre et Louvain-la-Neuve. D’autre part, nous allons à la pêche aux information pour nourrir notre propre questionnement : comment expliquer le développement accéléré de tous ces projets de béton en Wallonie et à Bruxelles ? Quels sont les mécanismes à l’oeuvre ? Et que cherchent celles et ceux qui se mobilisent sur le terrain ? Comment font-ils ? 

 

Une carte des collectifs qui font partie du réseau “Occupons le terrain!”

Informer en jouant : N4 en mode Cluedo

Pour faire comprendre les avancées de notre média éphémère, nous avons conçu un jeu. Une sorte de petite enquête Cluedo sur le territoire investigué par N4, à hauteur de Louvain-la-Neuve. Cinq lieux, cinq projets, cinq photos, cinq objets (d’où le brassard orange, la plume et le bidon Technik). Et cinq potentiels “auteurs du crime”... On aurait pu y associer cinq budgets, en grande partie alloués par les fonds publics. Le but est simple : rassembler tous les indices liés à une même investigation. Une petite intrigue qui accroche et surtout une bonne occasion pour échanger, et aller à la découverte des différents enjeux qui sous-tendent ces projets de taille. 
 
Le public, jeune essentiellement, mord à l’hameçon. Nous aussi. Principaux constats : le sentiment de lever un voile sur une réalité complexe et peu connue, à cet endroit précis du territoire. Et une résonance étonnante avec le vécu des participant.e.s, d’où qu’ils/elles viennent : projets de taille démesurée, inadéquation avec les besoins du terrain, gros impacts environnementaux, budgets publics conséquents, soutien politique et médiatique à angle réduit.

ET vous, comment vous "occupez le terrain" ?

A notre tour, nous posons des questions sur les différentes manières d'”occuper le terrain”, à Liège, Bruxelles ou Arlon, donc.
 
Y a Henri (nom d’emprunt) qui a mis sa cabane dans les arbres, Thom l’informaticien qui sensibilise à l’auto-défense numérique, Frederick qui prépare une dystopie sous forme de BD, Alexia qui chatouille les gestionnaires publics en distillant ses questions. David, lui, la nuit il cache les pubs, pendant que Gaëlle descend avec des milliers d’acolytes dans les mines de charbon allemandes et que Laurence crée un réseau social dans son quartier. Y a aussi Iréné qui fait des visites dans l’espace public pour sensibiliser à la décolonisation et Steph qui bosse dans l’éducation populaire. Et puis y a Jean pour aider à décortiquer l’info et à introduire un recours en justice.
 
Ils/elles ont un florilège de moyens d’action pour occuper le territoire, se le réapproprier. Chacun son style et une réelle  complémentarité comme adjuvant.
 
Nous voulions savoir comment, concrètement, ils/elles s’y prenaient. 
Alors on s’est assis dans un coin de stand et on les a écouté.e.s. Voici leurs réponses en vidéo. 

J'habite, tu habites, ils spéculent

Un festival comme Esperanzah!, ça vous booste. On est le jeudi 28 juillet après-midi. Alors que le check-sound du festival bat son plein à l’extérieur, Sarah De Laet prend le dessus et nous plonge dans l’univers de la gentrification et de la spéculation.
 
Sarah a 32 ans, elle est géographe et chercheuse, habite à Bruxelles. Elle s’est fait une réputation dans le milieu de la brique. Ce qui l’occupe et la préoccupe, c’est le logement, comme objet de bien commun et sujet politique. Elle le raconte sous la forme d’une conférence gesticulée qui tourne de salle en salle depuis plusieurs mois. Un outil d’éducation populaire, permettant de transmettre, à partir de sa propre expérience et de son vécu, un savoir dit “froid”, c’est à dire des données, des faits et chiffres, qui sous-tendent une thématique spécifique.
 
Ponctuée d’extraits de Starmania, le propos construit et argumenté éclaire sur ce qui se passe dans nos villes, là où “les loyers flambent, de plus en plus de personnes « vivent » en rue, peu de logements sociaux se construisent, des milliers d’expulsions ont lieu chaque année, et des bâtiments de logements chics se construisent mais restent vides” . 
 
La question de l’accès au logement, droit fondamental, est particulièrement alarmante à Bruxelles. Les loyers y ont augmenté de 25%-30% en 10 ans. Par contre, pas les salaires. Les listes d’attentes pour un logement social, elles, explosent : ils sont aujourd’hui 50.000 dans la file.
 
Alors l’équation est simple et impitoyable : “T’es (nouveau)-pauvre ? Alors tu vivras dans un logement insalubre, au seul loyer qui t’es abordable. Et surtout tu ne diras mot. Car s’il devait être rénové, tu ne sauras plus te le payer.” Le tout est scellé par un contrat, masquant d’un geste légal un rapport de force inégal et quasi indéboulonnable.
 
Le contenu de l’intervention nous marque. Et nous fait prendre conscience de nouvelles facettes du continent immobilier. De nouvelles questions émergent. “Spéculation, marchandisation, financiarisation...” pourquoi ces concepts viennent-ils côtoyer de si près, voire éventrer le droit d’habiter ? “Revitaliser, valoriser, promouvoir, écoquartier, …” et que cachent donc les termes de cette novlangue de la promotion immobilière sous lesquels elle envahit les espaces ?

Les promoteurs creusent les inégalités : comment lutter ?

Le samedi 30 juillet, nous allons à la rencontre de Claire Scohier d’Inter-Environnement Bruxelles et de Jean Peltier, un “sage” du réseau Occupons le Terrain. Ils livrent leur regard sur la situation immobilière à Bruxelles et en Wallonie. Et proposent des solutions concrètes pour soutenir les luttes de territoire.

A Bruxelles, l’enjeu principal c’est bien le logement. Home Invest, Immobel, … voici le nom de ceux qui cherchent des actionnaires, non plus des acquéreurs. En Wallonie, c’est l’étalement urbain qui préoccupe : on y construit des écoquartiers en bord de ville, des bretelles d’autoroutes et des zonings industriels. A cadence de plus en plus serrée, car à l’horizon 2050 se profile le “STOP Béton” décrété par l’Europe. 
 
Le mantra des promoteurs est celui de l’offre qui dicte la demande. Selon eux, plus on construira, plus l’offre augmentera, plus les loyers seront bas. Pourtant dans la vraie vie, cela ne se passe pas comme ça. En Wallonie, le narratif martelé par les pouvoirs publics reste la maison 4 façades, mais cachée sous forme de lotissements. Le coût social et environnemental paraît énorme.
Alors quelles solutions ? “Des logements, il y en a déjà assez pour tout le monde“, lance Claire Scohier. L’argent est là, l’espace est là, il ne manque que la volonté politique.
 
Pourquoi ne pas s’inspirer de Vienne où 40% des logements sont publics et de haute qualité ? Ou d’initiatives émergentes à Berlin, comme la demande d’un gel des loyers.  En septembre 2021, un referendum y a demandé le droit d’accès à 240.000 logements privatisés au moment de la réunification de l’Allemagne.
 
Que faire encore ? Entendu en vrac à Esperanzah! : amplifier la lame de fond des luttes en cours, s’informer, se former. S’organiser pour tenir dans la durée. Imaginer d’autre projet sur les zones concernées. Introduire des recours en justice. Communiquer. Aller dans les salons immobiliers et y créer des contre-salons. S’organiser et se rassembler lors de journées d’action, comme le propose le Housing Action Day.
 
Réfléchir et agir, c’est maintenant ou jamais ? Déjà se profile un autre festival où la présence de Nationale 4 est confirmée. Les 23 et 24 septembre, nous serons à Louvain-la-Neuve pour “Maintenant!”, dont le programme est consultable ici. On vous concocte une visite-surprise dans les sous-sols de la spéculation immobilière. A bientôt… 
 

A mi-parcours de NATIONALE 4, quelles sont les questions qui vous démangent ?

C'est à vous !

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