promenons-nous dans le béton

SEPTEMBRE 2022

À mi-chemin de son travail d’investigation, Nationale 4 livre ses premiers constats. Suivez-nous, à pied, en vélo ou en voiture.

Philippe Engels, Raphaële Buxant, Thomas Haulotte

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Le rond-point de « la voile » ¹, à Corroy-Le-Grand

À vélo, attention danger ! En venant de Namur et Gembloux, un bout de piste cyclable a été tracé il y a un peu plus de cinq ans. Mais à ce rond-point, suite au déconfinement, il y a eu un nouveau trop-plein de voitures d’une personne. Et il faut jouer des coudes avec les camions qui se pressent autour de la sablière de Mont-Saint-Guibert à la recherche de matière première pour le béton. Nous l’avons testé pour vous et failli perdre un bras : il est très dangereux de s’aventurer à ce croisement entre la N4 et la RN29 reliant Nivelles à l’autoroute E411. Un méga projet à l’indonésienne reste à l’agenda. Quand ? Combien cela coûtera ? Pas de réponse concluante, à ce stade. Juste, des arbres ont été arrachés à proximité il y a un an environ. Paraît qu’on y voit plus clair.

Lisez ici l’argumentaire d’un habitant de Walhain, par ailleurs fan de vélo et prof à l’UCLouvain. Il a reçu un accueil juste poli du Parlement wallon, à qui il a fourni du grain à moudre sous la forme d’une pétition critique à l’égard d’un nouveau rond-point favorisant l’usage de la voiture. Ce texte a recueilli 141 signatures, trop peu pour forcer un débat public au sein de l’assemblée régionale.

Le rond-point de Corroy : bientôt une méga-structure "à l'indonésienne", avec trémies et doubles bandes.

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Le bâtiment en bois est l'extension partiellement financée par de l'argent public. Malgré la pollution des sols.

Sur la gauche, au rond-point suivant : l’usine Realco.

Nous nous étions quittés en mauvais termes avec la direction de ce soi-disant fleuron wallon de la chimie verte². Nos questions n’ont pas plu. Surtout pas celles relatives à la pollution des sols suite au feu géant (volontaire ?) qui a détruit 28 tonnes de chlore rapide, plusieurs tonnes de Marlox, de Pyrophosphate Tétrapotassique et bien d’autres produits dangereux pour l’environnement, le 10 janvier 2020. Depuis, Realco a palpé les subsides wallons et reconstruit des hangars plus grands encore. Dans le nouveau permis que la société a obtenu, il n’est toujours pas question d’une déclaration « Seveso ». Tout promet d’être réglo en termes de stockage de produits dangereux. En revanche, nous n’avons plus reçu aucune nouvelle de la Région wallonne. Elle était censée s’assurer de la saine dépollution des sols après l’incendie et le nettoyage du site. Rien vu, rien entendu. Allez, nous allons encore insister…

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Direction, le fameux China-Belgium Technology Center (CBTC)

À noter : sur ce tronçon de la N4, les ornières sont vraiment craignos et de l’autre côté, il faut slalomer entre les camions stationnés en permanence. Voici, en contrebas, la Silicon Valley à la chinoise, ébauchée en 2014 par le tandem Di Rupo-Xi Jinping. Le nouveau quartier allait être à ce point dynamique qu’il fallait forcément développer le réseau routier pour favoriser la mobilité à cette entrée sud-est de Louvain-La-Neuve. Les travaux routiers semblent inutiles. Le centre technologique belgo-chinois attend toujours ses premiers occupants.

Depuis notre article de juin dernier, relayé par RTL-TVi, le principal changement est la sécurisation des lieux. Nous avions constaté pour seuls locataires des Bernaches du Canada, une race d’oies apparemment invasives. Là, la firme française qui tente de récupérer la sauce immobilière a réagi en deux temps. En juillet, elle a éclairé les bâtiments jour et nuit pour sauver les apparences. Quand ce gaspillage énergétique est devenu absurde, à la fin du mois d’août, elle a fait installer des caméras de surveillance très tape-à-l’œil. Il se confirme qu’une seule entreprise manifeste des intentions concrètes de s’installer dans le vaisseau amiral de la toute-puissante Chine. Un simple déménagement, en fait. La société LIMS était à l’étroit sur le parc scientifique « Monnet », tout proche. Cette année ou la suivante, ce laboratoire d’analyses médicales dopé par le Covid-19 va investir une petite portion du China-Belgium Technology Center au nom déjà désuet. En juin 2022, une demande de permis unique a été affichée sur les grilles entourant le complexe immobilier. LIMS y avertissait le voisinage qu’un… nouveau bâtiment va être construit afin d’abriter un espace de « stockage de produits chimiques, de gaz inertes et de déchets dangereux ».

Ces caméras de surveillance ont été installées après notre visite. Nous avions constaté la présence d'oies sauvages et de plantes invasives

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En avant, Courbevoie !

La coursive d’accès menant au parking SNCB de Louvain-La-Neuve pourra bientôt accueillir une rave party. L’entrepreneur chargé des travaux a stoppé son labeur en cours de route. Tout serait réglé « dans les trois mois », comme l’a relayé la RTBF, en mars dernier ?  Nous sommes en septembre et à chaque fois que nous passons sur place, nous ne voyons à l’œuvre que les seuls engins de construction du chic et cher quartier Courbevoie. Le fameux parking de délestage de la SNCB reste désespérément vide. Rappelons-le de semestre en semestre : il pourrait accueillir quelque 2.800 voitures de navetteur. Or, il n’y en a en moyenne qu’une soixantaine chaque jour depuis l’inauguration officielle d’octobre 2017 ; en gros, ce sont les places occupées par les commerçants de Louvain-la-Neuve.

Nous le maintenons, avec la gare de Mons, c’est le plus grand gaspillage d’argent public des dernières décennies, en Wallonie.

Encore heureux, l’été a été sec et il n’y a plus eu d’inondation du parking et des bassins d’orage adjacents. En ce début de septembre, le parc Courbevoie vient d’être ouvert au public malgré une forte tension entre les autorités politiques d’Ottignies/Louvain-la-Neuve, qui craignent un vice de forme lors de la construction des bassins d’accueil des eaux de ruissellement, et la direction privée de l’Université de Louvain, souhaitant transmettre au plus vite ce tout petit coin de verdure à la ville. Pour départager ces deux thèses, Nationale 4 a suggéré dès le mois de mai que l’UCLouvain ou la ville rende publique l’étude d’impact de 2019 qui annonçait les inondations et chiffrait le défaut de capacité des bassins d’orage. Au conseil communal, l’opposition libérale et le collectif citoyen Kayoux ont soutenu notre demande. Mais il n’y a toujours pas eu de débat public sur le sujet.

Tout au long de l’été, le chantier d’allongement des rails, lui, s’est poursuivi, soi-disant pour que le parking de délestage se mette à fonctionner. Selon nous, il s’agit d’un nouveau prétexte pour agrandir la dalle en cet endroit, et adosser le projet immobilier qui la surplombera³. Entretemps, ce sont des ouvriers mal équipés, venus d’Afrique via le Portugal, qui s’occupent des tâches les plus ingrates : creuser à la pioche, faciliter le déplacement (dangereux ?) des impétrants, remplacer les quais existants. Suite à notre article de mars dernier, pointant des soupçons de dumping et d’exploitation de main-d’œuvre en plein cœur de la cité universitaire, l’Inspection sociale et les services fédéraux de protection du bien-être au travail sont descendus sur place à la fin du mois d’avril. Un coup de semonce qui ne semble pas avoir effrayé la petite société bruxelloise BFS qui semble continuer à fournir du personnel bon marché aux géants de la construction à l’œuvre autour de la gare néo-louvaniste. Ce type d’enquête relative à de la potentielle fraude sociale prend énormément de temps. L’État fédéral est démuni face à ce fléau. Et on le répète, ni les impacts inquiétants des dérèglements du climat, ni les études de plus en plus fouillées sur les effets indirects de la spéculation immobilière ne sont actuellement en mesure de contrarier des projets de construction ficelés.

Au début des travaux du quartier Courbevoie, les risques de ruissellement des eaux ont-ils été sousestimés ? Pas de réponse officielle, à ce jour.

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Sur les terres d’Immobel

Au bout de notre territoire d’investigation, le projet de déménagement de la Clinique Saint-Pierre d’Ottignies vers une zone verte située sur les hauteurs de Wavre reste à l’agenda des années 2023 à 2028. La crise ukrainienne a affaibli les plans dressés par l’asbl privée qui gère le principal hub hospitalier du Brabant wallon. La hausse des coûts de l’énergie, notamment, oblige la Clinique à revoir sa copie : les bâtiments seront moins ambitieux que prévus. Le choix du lieu d’implantation est-il remis en question par les inondations les plus graves des trente dernières années, qui ont abîmé la ville de Wavre en juillet 2021 ? Non, non. Pour preuve, en avril 2022, des arbres ont été arrachés sur les hectares où le grand hôpital devrait être construit. Les investisseurs consultent la population, ils n’ont pas encore de permis. Mais ils préparent le terrain en écartant des bouleaux…

La raison de cette forme de précipitation nous apparaît, à ce stade, essentiellement financière. Juste avant les élections législatives du 26 mai 2019, la Clinique Saint-Pierre a reçu la garantie d’importants subsides publics (2,3 milliards d’euros). Juste après, la société immobilière Immobel lui a revendu les terrains wavriens qu’elle avait eu le nez fin d’acquérir. Tout ceci allait à ravir au MR, dominant à Wavre, maintenu dans l’opposition à Ottignies/Louvain-La-Neuve. Face à de tels arguments, le beau terrain concurrent situé à Louvain-La-Neuve en bord de l’autoroute E411, près de nouvelles infrastructures routières déjà en construction, à portée de voiture d’un immense parking vide, n’avait aucune chance d’être sélectionné. D’autant que ces champs appartenant à l’UCLouvain (les lectrices ou lecteurs assidu.e.s l’auront deviné) étaient lorgnés par un acteur discret et puissant qui nous intéresse de plus en plus : l’intercommunale in BW, très politisée.

Le terrain en pente où doit s'installer l'hôpital. Plus bas encore : la ville de Wavre, souvent inondée.

 ¹ Du nom de la statue (assez) quelconque nichée en plein milieu.

² Alors que la part d’activités « vertes » – liées aux enzymes – fait à peine 10%, comme le reconnaît son patron.

³ Il s’agirait de rapprocher les quais du parking. Pour Nationale 4, le vrai enjeu consiste plutôt à prolonger la dalle historique de Louvain-La-Neuve et d’y permettre de nouveaux investissements immobiliers.

⁴ Lire à ce propos la série « Mon travail, mon enfer », publiée par le média alternatif Médor, en 2020-2021

Comme celle publiée par l’urbaniste Sarah De Laet et l’ancienne banquière Aline Fares dans le magazine d’Inter-Environnement Bruxelles : (le site d’IEB est inaccessible aujourd’hui)

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