La nationale 4, en route pour le 20ème siècle

Avril 2023

Philippe Engels, Raphaële Buxant et Thomas Haulotte

Voici nos conclusions. Forcément subjectives, même si elles sont fondées sur des faits, des lieux et des dates, nous les voulons constructives. En quelques coups de griffe, nourris par le ressenti des habitants rencontrés en route, nous tirons un premier trait sous cette expérience journalistique et sur ce bout d’aménagement de territoire si peu modèle, si mal agencé, tellement gris et mal adapté aux pluies diluviennes. Une terre très wallonne, à vrai dire. Riche mais gâchée. Le long de cette route, ce n’est pas le monde de demain qui s’esquisse. Ce sont plutôt les logiques économiques éminemment financières du 20ème siècle, celles d’avant la prise en compte de l’urgence climatique, qui sont à l’œuvre. Demain, l’avenir de (la) Nationale 4 appartiendra aux esprits inventifs qui seraient tentés de colorier l’espace autrement. Il y a encore d’autres projets qui se préparent – le quartier Athena près d’un site Natura 2000, par exemple – et du travail pour d’autres initiatives citoyennes ou journalistiques. À bientôt…

Depuis le mois de juillet 2021, il n’y a pas eu de nouvelles pluies dévastatrices dans la vallée de la Dyle, sur son tronçon le plus exposé aux inondations, reliant les entités de Court-Saint-Etienne, Ottignies et Wavre. Les précédentes dataient de 2008, 2010 et 2016. À chaque fois, c’est le centre-ville de Wavre qui a écopé le plus. La dernière crue en date a marqué les habitants. Certains scrutent le ciel, désormais très inquiets quand il pleut fort ou longtemps. Notre projet  « Nationale 4 » est né aux lendemains de ce choc climatique, qui a enlevé la vie à 39 personnes en Wallonie, surtout le long de la Vesdre et de l’Ourthe, et a ébranlé des centaines de milliers d’habitants dans d’autres vallées de Wallonie. Nous avions constaté que sur les hauteurs de Wavre ou plus en amont, à Louvain-la-Neuve, notamment, de nombreux projets de construction avaient repris quelques jours à peine après les inondations. Des chantiers de grande taille, artificialisant des terres devenues rares dans cette banlieue verte de Bruxelles. Du béton sur lequel glissent à grande vitesse les eaux pluviales.

Nationale 4 avait décidé d’analyser un bout de route de cinq kilomètres sur cet axe routier important. Notre objectif : comprendre l’impact de ces projets XXL sur leur environnement, décoder la cohérence politique de ces investissements dont une bonne partie est d’origine publique, interroger la population sur la nature de l’information reçue. Y aller avec le zoom. Puis élargir le champ de vision. N4/1 an d’enquête/5 grands chantiers/Nos conclusions, c’est parti :

leçon 1

Il nous paraît évident que ni les décideurs politiques des villes ou communes concernées, ni les entreprises situées sur le parcours de la Dyle ne sont conscients d’appartenir au même bassin versant de cette rivière aux crues dangereuses. C’est gênant en termes de prévention. Consacrée à la reconstruction de l’usine Realco, notre première enquête, mise en ligne le 1er mars 2022, illustre cette forme d’omission collective. Le 10 janvier 2020, cette firme chimique établie le long de la N4 a brûlé dans des circonstances qui resteront à jamais mystérieuses. C’était la nuit, heureusement. Des dizaines de tonnes de produits dangereux pour l’environnement y étaient stockés sans la transparence indispensable.

Qu’en est-il advenu ? Les pluies de ce premier hiver confiné ont favorisé l’écoulement de ces matières toxiques vers les égouts du parc scientifique de Louvain-la-Neuve ou en direction des sous-sols sablonneux les plus proches de l’incendie. Fin janvier, des riverains établis près du Ry-Angon, un affluent de la Dyle, ont alerté les pompiers : une mousse épaisse avait remplacé le ruisseau. Ce n’était pas la première fois que ces eaux changeaient de texture ou… de couleur à cet endroit, sous les parcs scientifiques de Louvain-la-Neuve. Des agriculteurs rencontrés à Court-Saint-Étienne racontent que le Ry-Angon leur est déjà apparu teinté d’orange ou dégageant une odeur de térébenthine. Sans doute après qu’une firme néo-louvaniste spécialisée dans les colorants y ait déversé les rebuts de sa production. Depuis le développement de Louvain-la-Neuve, ces primo-résidents disent que les étangs en contre-bas sont devenus risqués pour les enfants. Quelquefois des poissons y  périssent de manière anormale quand ce n’est pas une pellicule grasse qui se pose sur ces eaux salies.

Jusqu’où la pollution de l’usine chimique incendiée s’est-elle propagée ? Jusqu’à la station d’épuration de  Profondval ? Ou celle de Basse-Wavre ? À quelle profondeur en direction de la nappe phréatique ? Notre enquête a révélé que les analyses effectuées par la police de l’environnement ont été effectuées sur un périmètre restreint avant que la direction de la société Realco, cotée en bourse, ne fournisse le listing complet des produits stockés. La firme de démolition affairée aux abords de la Nationale 4 avait rapidement constaté des réactions chimiques anormales au ras des sols incendiés. Elle avait menacé de stopper son travail si ses employés n’étaient pas – enfin – informés.

Aujourd’hui, ce passé trouble a été enfoui. Il repose sous un tout nouveau hangar, plus vaste encore et bardé de beau bois. La ville d’Ottignies-Louvain-la-Neuve a assez vite octroyé le permis de (re)construction. La Région wallonne a accepté de continuer à financer cette firme qu’elle présente comme un modèle de chimie verte. Enfouissez, il n’y a plus rien à voir.

Toute la partie incendiée (les hangars, à gauche) a été reconstruite avec des subsides wallons.

Sur le bassin versant de la dyle, il faudrait tester la qualité des eaux de distribution. l'état des nappes phréatiques est un sujet tabou.

Louvain-la-Neuve n’est pas une plaine, comme celle du Rupel et de l’Escaut où la Dyle finit sa course. Toute l’eau qui n’y pénètre pas dans les sols naturels se retrouve à Court-Saint-Étienne, à Ottignies, puis à Wavre et Louvain. Forcément, si on imperméabilise ces terres en pente douce et qu’il pleut de manière intense, ça s’écoule de plus en plus vite et ça peut finir par déborder quelque part. C’est d’autant plus préoccupant si ces eaux sont polluées. Les pouvoirs publics devraient conscientiser les acteurs économiques plutôt que se fourrer la tête dans les sables du Bruxellien. Notre enquête révèle que les bassins d’orage prévus en aval des grands projets immobiliers devraient, par exemple, faire l’objet d’un audit sérieux. Idem pour les nappes phréatiques. Nous y reviendrons…

Nous avons documenté le cas du quartier Courbevoie, en cours d’achèvement à l’entrée de Louvain-la-Neuve. Une étude confidentielle que nous avons retrouvée y indique la trop faible capacité des bassins de rétention, situés dans le parc créé en parallèle. Ils n’intègrent pas le ruissellement des eaux provenant d’un vaste champ voisin. En juillet 2021, les pluies soutenues venues du ciel et l’eau sortant des terres saturées ont inondé des habitations, envahi le parking SNCB et fait sauter les plaques d’égouts en surplomb de la gare, près de la cabine électrique la plus importante de la région. Oubli ? Négligence ? Mauvaise anticipation du changement climatique ?

Comme on dépose un voile pudique sur un défunt, la ville d’Ottignies-Louvain-la-Neuve a fait poser des barrières métalliques tout autour du parc. On en comprend désormais la raison : personne ne souhaitait assumer la responsabilité du bug. En septembre 2022, les barrières ont ensuite été retirées sans que le contentieux entre les firmes de construction, les autorités communales, l’UCLouvain (propriétaire des terrains) ou encore la SNCB ait été vidé. Une solution précaire a été installée entre le fameux champ de plus de 15 hectares situé plus haut et le quartier Courbevoie. Il ne faut pas être ingénieur pour comprendre que le sparadrap se décollera à la prochaine crue sévère.

Les bassins d'orage du parc Courbevoie sont sous-dimensionnés.

Même à Wavre, vers où les eaux convergent, les mêmes attitudes imprudentes sont repérables. Dans les études préliminaires à la construction d’un nouveau centre hospitalier sur les collines du sud de la ville, la question des eaux de ruissellement a été posée par un bureau d’études (un peu trop ?) indépendant. Dès novembre 2020, ces experts ont averti les dirigeants de la Clinique Saint-Pierre et les responsables communaux de Wavre quant aux risques dérivés d’inondation sur ce terrain en pente. Ils n’ont pas été suivis. Bientôt, Saint-Pierre aura un double actif. À Ottignies, les dirigeants hospitaliers aimeraient soumettre à des promoteurs immobiliers le site actuel et ses parkings. Eux aussi veulent rentabiliser leurs terrains. Une maison de repos (dont les fonds de pension raffolent vu le potentiel financier) et un pseudo eco-quartier résidentiel remplaceront une partie du site hospitalier. À Wavre, la Clinique Saint-Pierre financée à 50% par de l’argent public bénéficiera d’installations toutes neuves. Sur un plan financier, ce sera un coup de maître. En ce qui concerne les aspects environnementaux, c’est autre chose. 

Dès lors que les principaux acteurs politiques, économiques et sociaux ne sont pas sensibilisés au fait d’appartenir à un même bassin versant, le long d’une rivière qui peut se gonfler dangereusement, comment imaginer que les habitants le soient ? C’est évidemment problématique. Car cette absence de solidarité entre les communes d’en haut et d’en bas s’étend aux affluents de la Dyle. Une autre illustration : la commune de Mont-Saint-Guibert, qui vit un boom immobilier sans précédent, bétonne les rives de l’Orne, étend ses zonings économiques jouxtant le campus universitaire tout proche, sans réellement se soucier de nourrir le flux d’eau principal quand les éléments climatiques se déchainent.

Mont-Saint-Guibert, 18 juillet 2021.

Comme le dit la députée liégeoise Veronica Cremasco, il faut arrêter de croire que seules les vallées de la Vesdre ou de l’Ourthe sont exposées. En Brabant wallon, nous  constatons à ce propos une forme d’inconscience collective.  

leçon 2

Il y a un manque flagrant de coordination politique sur ces cinq kilomètres où les (projets de) constructions foisonnent. Les choix urbanistiques apparaissent déconnectés des réalité du terrain et de l’intérêt collectif. Exemple évoqué ci-dessus : la Clinique Saint-Pierre va déménager sur les hauteurs de Wavre alors que des voiries, des bretelles d’autoroute et un énorme parking vide sont disponibles en bord d’autoroute à Louvain-la-Neuve, 2 kilomètres  plus loin.

Parmi les arguments ayant joué en défaveur d’une implantation de l’hôpital à l’entrée de la ville universitaire figure la concurrence à éviter avec le Centre technologique belgo-chinois. Mais, on l’a vu, celui-ci s’avère déjà en échec par rapport à sa vocation initiale. Vaste ensemble de six bâtiments vides, ce CBTC énergivore risque de ne jamais accueillir une seule équipe de scientifiques travaillant sur un même projet. Il ressemble aujourd’hui à un paquebot à la dérive dont les promoteurs cherchent à sauver la mise financière.

Interdit de nager dans ce quartier chinois qui prend l’eau. Le symbole d’une anarchie de projets.

À moins de 500 mètres de là, l’esquisse mégalo d’un carrefour à l’américaine, près de la sortie 9 de l’E411, n’a pas été adaptée  à la nouvelle donne climatique et aux fondamentaux d’une mobilité plus douce. Il s’agit pourtant d’un lieu de convergence hautement stratégique, où les déplacements en vélo ou en  bus pourraient être valorisés pour marquer les esprits. On aurait pu geler ce projet imaginé au 20ème siècle en attendant d’y voir clair sur les enjeux de toute cette zone. Or le début des travaux s’avère  imminent. La firme chargée des travaux vient d’être désignée. Le flux de voitures va s’améliorer entre la Nationale 25 en provenance de Nivelles et l’autoroute E411, promet-on. Il s’agirait d’un chaînon routier manquant. Mais cette dépense d’argent est-elle encore nécessaire et justifiée étant donné le télé-travail, la crise énergétique et l’endettement croissant des pouvoirs publics ? Ne fallait-il pas jeter les bases d’un autre modèle de développement, plus durable, priorisant d’abord les transports en commun et les modes alternatifs à la bagnole ?

Un « monument à la voiture » va être érigé à Corroy-le-Grand.

La rivalité historique entre les pôles urbains de Wavre et d’Ottignies-Louvain-la-Neuve contribue à cette absence de vision dans le temps et l’espace. La focalisation de l’UCLouvain (et désormais de la Clinique Saint-Pierre) sur la valorisation de ses terrains à haute valeur spéculative, achetés au prix de la terre agricole, continue à en faire un partenaire atypique et difficile à manœuvrer pour les mandataires locaux. L’échec passé et contemporain de la Région wallonne dans chacune de ses tentatives de contraindre les villes et les communes à des choix pensés à l’échelle d’un bassin de vie s’avère sans doute le plus éclatant dans cette portion du Brabant wallon où la densité d’investisseurs au kilomètre carré est très élevée.

Le résultat ? Un renoncement politique assez flagrant, couplé à la prédominance d’intérêts privés. C’est à Wavre, la ville de l’ancien Premier ministre Charles Michel, celle qui est la plus sujette aux sautes d’humeur de la rivière, que cette combinaison de négligence et de laisser-faire paraît la plus évidente. Alors que Louvain – située en aval – a adopté un plan global anti-inondations, Wavre n’en est qu’au stade des études. Même chose en ce qui concerne son aménagement du territoire. De 1996 à 2021, ce bastion libéral a accepté une nouvelle vague d’artificialisation de ses sols qui l’a fait radicalement virer du vert au gris. Le nombre de parcelles bâties a augmenté de 32,3% en à peine un quart de siècle. Et ce n’est pas fini : les collines situées au nord (le « village » Matexi, le Val Véna et bientôt la Biotech Valley) et celles orientées sur le versant sud (le nouvel hôpital) seront loties avant le « Stop Béton » progressivement d’application en Wallonie à partir de 2030.

Le plus interpellant : les autorités wavriennes ont laissé agir les firmes de construction sans se doter d’un Schéma de développement communal. Un machin inutile ? En Région wallonne, Dinant, Namur, Hannut, Marche-en-Famenne, La Louvière, Gembloux, Tubize ou même Verviers, l’une des villes les plus critiquées de la vallée de la Vesdre, disposent d’un tel outil de planification urbanistique. Wavre, non. En novembre 2021, soit quatre mois à peine après les inondations de cet été féroce, le chef-lieu de la province du Brabant wallon a décidé de vendre une nouvelle zone verte de 17 hectares à l’intercommunale inBW, afin d’en faire une extension hype de son zoning nord (la fameuse Biotech Valley, prévue près du golf de la Bawette). Dans des communes brabançonnes moins proches d’un cours d’eau, l’été 2021 a au moins été suivi d’une période de gel de tout projet immobilier d’ampleur. Pas à Wavre. Comme le relèvent les habitants dépités du centre-ville, la cité du Maca accepte de vivre les pieds dans l’eau. Dans une forme d’indifférence assez étonnante.

Remontons vers l’entité d’Ottignies-Louvain-la-Neuve. Ici aussi, les pelleteuses avancent plus vite que les planificateurs urbains. Fallait-il à ce point étendre le coeur bâti de Louvain-la-Neuve ? Véritable État dans l’État, l’Université catholique, propriétaire de 1000 hectares de terres constructibles, poursuit sans transiger un aménagement à haute densité sur le plateau agricole situé au plus haut point du bassin de la Dyle. Par-dessus les rails de chemin de fer, à hauteur du lotissement Courbevoie, voire sur 15 hectares de la zone Monnet qui pourraient être prochainement artificialisés, le béton poursuit son inlassable progression. C’est en ces lieux que grossissent  une partie des eaux de ruissellement susceptibles d’inonder Ottignies puis Wavre. Les dirigeants universitaires et ceux de l’intercommunales inBW l’ont-ils bien intégré ? Et que peuvent les autorités municipales face au désir (ou aux besoins financiers) de l’UCL de valoriser son patrimoine immobilier ?

Nous n’avons pas refait tout le débat. Mais l’histoire se répète aujourd’hui via cette nouvelle extension en douce de la dalle historique, là où la gare de Louvain-la-Neuve cherche à se connecter à ce fameux parking disproportionné, comme a fini par le reconnaître le ministre wallon de la Mobilité Philippe Henry. On a trop construit. On s’en rend compte. Dès lors, pourquoi continuer et rajouter une gaffe à la précédente ? Ce silence autour de l’arnaque du P&R est décidément intriguant…

Quant au coeur d’Ottignies, il  rêve de rattraper le temps perdu. Vu la menace du climat et la position de la ville en bord de Dyle, les investissements prévus près de la gare ne risquent-ils pas de constituer un nouveau facteur aggravant ?

conflit d'intérêts

Depuis les trombes d’eau de juillet 2021, on aurait pu imaginer qu’Ottignies, Wavre ou d’autres communes à cheval sur la Dyle se tendent la main, qu’une formation politique au pouvoir dans une des deux villes interdépendantes (le PS est le seul parti qui a un pied dans les deux exécutifs) fasse un geste d’ouverture, que la Région wallonne incite à y tirer les leçons des changements climatiques. Mais la seule initiative d’ampleur est venue du niveau de pouvoir provincial, considéré par de nombreux spécialistes comme le plus archaïque. En mai 2022, « les quatre acteurs structurants du Brabant wallon », comme ils l’affirment eux-mêmes, ont présenté aux médias traditionnels le label « BW 2030 ». Ils ont annoncé qu’ils s’alliaient « dans une dynamique territoriale inédite ».

De qui s’agit-il ? BW 2030 réunit :

  1. La province dirigée par un puissant tandem MR-PS, qui se montre résolument favorable à l’accueil d’investisseurs privés.
  2. L’intercommunale inBW, où les libéraux du MR ont toujours été dominants.
  3. L’UCLouvain, un acteur privé bénéficiant de fonds publics.
  4. La société d’investissement Invest BW, dont le rôle est amené à croître. Cette société est présidée par le libéral flamand Marc De Pauw, qui fut à la fois bourgmestre de la commune de Destelbergen et administrateur délégué du groupe Ackermans & van Haaren (construction et immobilier, notamment). Invest BW est détenu à 25% par la pieuvre AvH.
Les représentants d'un club des 4, en mai 2022. ©ÉdA

Dans cette partie aisée du Brabant wallon, le bien collectif est géré comme s'il s'agissait d'un club sélect.

Le vernis est brillant. BW 2030 promet d’avancer « ensemble, plus vite, plus loin », d’ « être un précurseur qui inspire la Wallonie », d’amplifier l’attractivité de la province. Sans débat public, sans contrôle par une assemblée de type parlementaire, 7 grands axes de croissance et 35 projets numériques ont été décidés par ce groupe des quatre. Le catalogue est vaste. Toutefois, la prévention des inondations dans la vallée de la Dyle n’y figure pas. À nos yeux, BW 2030 incarne et renforce cette tendance prégnante en Brabant wallon qui consiste à gérer le bien collectif comme un club. Comme si l’avenir des habitants se jouait autour d’un verre au sein du très sélect Cercle du Lac.

Notre enquête relative au quartier Courbevoie, au déménagement de la Clinique Saint-Pierre et aux abords immédiats de la gare d’Ottignies a démontré à quel point les groupes privés actifs dans le bâtiment et l’immobilier étaient en mesure d’orienter les choix d’urbanisme sur de grands projets impactants pour la collectivité. Pour eux, la naissance de BW 2030 est assurément une bonne nouvelle. Même chose pour l’UCLouvain. Quant à l’intercommunale de développement économique inBW, la création de BW 2030 devrait lui permettre d’atteindre encore « plus vite » l’un des objectifs prioritaires qu’elle rappelle dans chacun de ses rapports annuels : racheter des terres agricoles pour en faire de nouveaux zonings économiques. Au même moment, le nombre de m² vides s’additionnent le long de la N4.

leçon 3

Sur des enjeux comme le logement, la qualité du cadre de vie, la prévention contre les inondations ou la mobilité, les habitants attendent une information transparente et complète. En vérité, elle est compartimentée, saucissonnée, tronquée. Le récit dominant, relayé par les médias traditionnels, est celui des investisseurs et des promoteurs immobiliers (cfr « l’hôpital dans un jardin » ou « l’esprit Courbevoie »). La consultation de la population génère donc beaucoup de frustration. Ils ou elles étaient environ 400 à se farcir deux heures de présentations serrées et une heure de questions/réponses, à la Sucrerie, le 25 octobre 2021, pour comprendre comment et pourquoi leur ville (de Wavre) allait accueillir un grand centre hospitalier. Avec le recul, nous ne savons pas ce qui était le plus déroutant. Le discours des architectes qui ont fait croire que l’eau pénètrerait mieux dans les sols aménagés que dans les prés sauvages qui vont être sacrifiés pour accueillir Saint-Pierre ? Ou l’autosatisfaction des élus wavriens estimant que le processus de consultation allait suivre son cours, que d’autres moments d’échange seraient organisés (comme à la mi-mars 2023) et qu’en matière de ruissellement, il fallait croire les architectes et les experts ?

En observant la manière de communiquer des investisseurs et des promoteurs, en confrontant cette narration avec celle des villes, de l’UCLouvain ou de la Région wallonne, nous constatons que la présentation qu’en font les médias traditionnels est très homogène. Dans les journaux, il y a peu de place pour des échos alternatifs. Comme les quatre principaux partis politiques sont au pouvoir soit à Wavre, soit à Ottignies-Louvain-la-Neuve, les formations d’opposition restent assez silencieuses voire consensuelles sur les sujets liés au territoire (une exception notable : les Engagés ont voté contre le projet de Schéma d’orientation local lié à l’hôpital de Wavre). Cette atonie du débat démocratique favorise les desseins des bâtisseurs.

L'hôpital dans un jardin. Le langage des promoteurs est sagement relayé par les médias traditionnels.

Un dossier corédigé par Aline Fares, Sarah De Laet et Claire Scohier dans Bruxelles en mouvements, la revue bimestrielle d’Inter-Environnement-Bruxelles, décortique avec beaucoup de détails comment les promoteurs BPI (gare d’Ottignies) et Immobel (hôpital de Wavre) façonnent à leur guise les villes de demain[1]. Les promoteurs se présentent comme les visionnaires de notre avenir commun. Ils soufflent leurs arguments à l’oreille des bourgmestres, des échevins et des dirigeants d’intercommunales. Ils font croire qu’avec eux, nos lieux de vie seront plus smarts. Or, dit l’ancienne cadre de banque Aline Fares, interviewée dans le n°29 du magazine Médor, il faut bien sûr aller chercher le vrai discours des promoteurs, celui qui figure en tous petits caractères dans leurs rapports d’activités. Ces mots-là, ils sont pour ceux qui leur amènent des fonds. « Là, leur discours est clairement de promettre des rendements, de l’argent – pas de construire des solutions pour la population.[2]»

Or, les logements que la promotion immobilière met sur le marché sont trop chers pour répondre aux vrais besoins. À peine sorties du sol, les constructions chics sont livrées à la spéculation. Les prix flambent.

Près de l’Orne, à Mont-St-Guibert. “L’équilibre parfait entre un site verdoyant et une architecture écoresponsable”, selon le promoteur Eaglestone. L’appartement à 3 chambres y est proposé à 477.000 euros (© Eaglestone).

Surtout quand le ciel gronde, les questions d’aménagement du territoire méritent mieux que la communication des bâtisseurs, la désinformation (nous osons le mot) qui l’accompagne et les ersatz de démocratie participative auxquels on assiste aux abords de la Nationale 4 ou sur les rives de la Dyle, tout en bas. Chaque nouveau projet urbanistique est présenté de manière isolée.  L’absence d’une vision d’ensemble s’avère criante. À Louvain-la-Neuve, celles et ceux qui se sont opposé.e.s à de nouvelles constructions sous la forme d’une extension du centre commercial L’Esplanade ou aujourd’hui d’un rallongement des quais (et de la dalle historique), qui ont obtenu une consultation populaire et qui ont cru obtenir gain de cause, il y a six ans, acceptent difficilement qu’on leur mente par omission à propos des travaux en cours au fond de la gare ou du nouveau Schéma d’Orientation Local (SOL) planifiant l’aménagement de cette zone.

Bien sûr qu’en allongeant les voies de chemin de fer, on prépare le béton qui va couler dix mètres plus haut, prolonger encore la dalle historique de l’ancienne « ville modèle » et accueillir, si pas des logements chers, des bureaux qui pourraient rester vides ou trouver place ailleurs. À ces habitants, dont de nombreux écologistes de la première heure, « on » prépare un remake du mauvais feuilleton du parking vide payé par la SNCB (par le contribuable, donc). Cette fois, il s’agira du rallongement Pinocchio. S’il existe, comme nous le pensons, d’autres objectifs que ceux annoncés, eh bien que les pouvoirs publics ou l’Université le disent, l’expliquent, le justifient. Cela nous évitera d’utiliser le mot « imposture » ou « arnaque », que nous assumons sans aucun plaisir.

Le rallongement Pinocchio, en fond de gare, à Louvain-la-Neuve.

Les ouvriers communaux, les commerçants wavriens attirés jadis par les beaux rivages de la Dyle,  ont vu monter l’eau en juillet 2021. Ils savent qu’il y a un souci, que même en fermant les yeux, ils vont devoir à nouveau chausser les bottes, monter aux étages, attendre une barque si « ça » leur tombe à nouveau sur la tête.

Puisqu’il existe une étude démontrant une erreur commise dans le dimensionnement des bassins d’orage du parc Courbevoie, autant l’analyser sans fard, la mettre en débat et, qui sait ?, permettre une réflexion d’ampleur sur cette fausse bonne solution que constituent ces bassins de rétention. Ils sont nécessaires, pas suffisants. Si d’autres informations doivent être partagées quant aux « thalwegs » minimisés sur des terrains pentus soudain transformés en lotissements, à Louvain-la-Neuve, Wavre et sans doute dans tout le bassin versant de la Dyle, qu’on écoute les vrais spécialistes indépendants qui les ont observés. Ces thalwegs, ces lits dormants d’anciens ruisseaux, il faut oser reconnaître qu’on en a oublié l’existence. Quand d’un coup, la nature se rappelle à la femme et à l’homme, que ces petits pipis en alimentent de plus gros et qu’en bas, cela cause des débits d’eau de plus de 50 mètres cubes à la seconde, il est trop tard pour réhabiliter la transparence.

Un nouveau quartier, c'est une masse d'eau inouïe. Le bois de Lauzelle va être inondé. Il y aura de la pollution. Mais on continue quand-même...

Et puis, dès lors que le Stop Béton semble inéluctable, qu’en 2050, il ne sera plus possible d’artificialiser la terre en Wallonie comme dans l’ensemble de l’Union européenne, autant cesser de saturer la « province verte » (bientôt, ce label sera une blague) de constructions ou de routes dont les usagers ne comprennent pas le sens. Sortir le compas, la calculette, l’étui à outils, pourquoi pas ? Mais il y a mieux : confronter chaque nouveau projet à ses impacts complets sur l’ensemble du bassin versant, désigner des macro-urbanistes à l’image de ceux venus d’Italie pour ausculter la vallée de la Vesdre et soumettre cette vision à 360 degrés à l’approbation des habitants, des usagers et de leurs besoins. L’inverse de la politique à courte vue du moment.

Avec l’aide du Fonds pour le journalisme en Fédération Wallonie-Bruxelles

[1] Dans la gueule de la promotion immobilière, janvier-février 2022.

[2] Le logement, c’est notre problème, hiver 2022-2023.

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