Quatre jours après l’incendie chimique chez Realco, déjà, la police de l’environnement a cessé ses prélèvements. L’intercommunale in BW a toujours considéré que tout était normal. La bourgmestre d’Ottignies-Louvain-la-Neuve ne s’est pas trop posée de questions. Aujourd’hui, la firme chimique reconstruit à l’identique… sans que les travaux de dépollution n’aient été validés par la Région wallonne. Un fiasco général.
Fin janvier 2020. Un habitant de Mont-Saint-Guibert s’étonne de voir « son » ruisseau transformé en bain de mousse. Il y en a sur une hauteur « de plus de deux mètres », dit-il à l’intercommunale in BW, qui exploite les stations d’épuration du Brabant wallon. Ce riverain du Ry Angon et d’autres habitants d’Ottignies, par exemple, s’interrogent sur un lien possible avec l’incendie très médiatisée de l’usine chimique Realco, le 10 janvier de la même année, à deux, trois kilomètres de là. L’intercommunale brabançonne se veut rassurante, l’épaisse mousse sur le Ry Angon intrigue RTL-TVi et on se contente à l’époque du discours officiel : c’est quand les pompiers ont nettoyé le site calciné de la firme Realco que la rivière aurait fait des bulles.
Au moment de l’incendie, le leader des enzymes de nettoyage et du chlore pour piscine stockait plusieurs centaines de tonnes de produits nocifs pour l’environnement dans ses entrepôts vieillissants. Tout ou presque a brûlé, s’est consumé ou a coulé dans les sols limoneux du parc scientifique Einstein, à Louvain-la-Neuve. La police de l’environnement a contrôlé le Ry Angon et la station d’épuration voisine pendant quatre jours. Elle affirme qu’elle connaissait l’ampleur des stocks. « Dans ce cadre, les mesures de pH réalisées n’ont pas montré de dérives significatives », indique aujourd’hui le Département wallon de la police et des contrôles (le DPC, nom officiel de la police de l’environnement).
De la mousse aperçue sur le Ry Angon. Crédit photo : RTL Info
Mais les échantillons ont-ils été prélevés au bon endroit ? Le DPC est-il venu au bon moment ? A-t-il analysé tous les paramètres nécessaires ? « Moi, en tout cas, je n’ai vu personne pendant les travaux de démolition, affirme un ingénieur qui s’est alarmé de ces cuves à acide percées et exposées aux pluies abondantes de l’hiver 2020. « Pour toute la Région wallonne, il y a 7 inspecteurs spécialisés dans les matières environnementales. Tout le monde sait que c’est trop peu. Personne ne bouge », commente un agent de l’Etat.
« Realco n’est pas un cas unique, témoignent Dominique et Claire, qui exploitent une ferme à Ottignies. Nous l’avons signalé aux autorités communales il y a bien longtemps déjà : les travaux d’égouttage ne sont pas toujours annoncés aux habitants dont les enfants osent encore jouer dans le ruisseau en aval, il nous est arrivé de constater la mort des poissons sur notre étang desservi par le Ry Angon et à l’occasion les eaux prennent même une couleur orange quand une entreprise voisine de Realco, fabriquant des colorants, se trompe apparemment de conduites. Tout le monde sait ça… D’accord, le parc scientifique de Louvain-La-Neuve grandit. C’est un pôle de recherche scientifique important. Mais nous qui vivons en contrebas, on ne compte pas ? »
Environ un mois après l’incendie de son usine de production et de stockage de produits chimiques, même la direction de Realco a fini par avertir la bourgmestre d’Ottignies-Louvain-la-Neuve du danger de pollution. Un courrier du 6 février 2020 que nous avons retrouvé énumère les « tensioactifs, acides, réservoirs à l’air libre et solvants » qui se trouvaient alors dans les locaux détruits. « Ces produits sont dispersés partout dans l’usine, soit sur le sol, soit dans les rayonnages encore debout (…) Il y a également des écoulements vers l’extérieur de la zone sinistrée suite aux averses importantes de ce début de semaine. De nouvelles pluies ne feront qu’aggraver le risque. » Sans doute pour se dédouaner, Realco craint un écoulement à la verticale voire une pollution via les égouts. Pas en direction du Ry Angon, pas sur le versant orienté vers Ottignies, où la mousse aurait donc été insignifiante. Non, c’est l’autre versant qui risque de trinquer, en direction de Wavre. Le courrier dit ceci : « Ces produits sont susceptibles d’entrainer des pollutions des égouts, du sol, et partant, de la nappe phréatique, s’il n’est pas procédé à leur évacuation sélective et conforme, dans des délais très rapprochés. »
Serait-il déjà trop tard ? Pour une raison que nous n’avons pu établir, le DPC wallon n’est plus venu constater les dégâts. Et l’intercommunale in BW assure aujourd’hui encore qu’il n’y a rien eu d’anormal à la station d’épuration de Basse-Wavre vers laquelle sont orientés les égouts de l’avenue Einstein, la voie parallèle à la Nationale 4 où est établie la firme chimique néo-louvaniste. À nos questions insistantes, la direction de l’intercommunale a fini par répondre avec une pointe d’agacement. « Nous vous avons rencontré à la station d’épuration de Louvain-la-Neuve pendant plusieurs heures ¹ (…) Nous ne voyons pas l’intérêt de réitérer une visite supplémentaire. » Pourtant, un témoin des opérations de démolition, chez Realco, affirme d’une part qu’il a constaté les sévères dégâts causés par le feu à certains collecteurs d’égouts – « de nombreux produits toxiques ont coulé à la verticale, direction la nappe phréatique ». D’autre part il ajoute que « la station d’épuration de Basse-Wavre a dû être protégée par des tonnes de terre, vu l’afflux d’acides ».
L'ensemble de la structure est instable et risque l'effondrement. Elle présente un danger immédiat et important (...) Nous attirons l'attention sur l'écoulement possible de liquides toxiques pouvant dès lors contaminer les sols.
Rapport de visite du bureau d'ingénieurs SGI, produit par Realco le 6 février 2020
Interpelée par la direction de Realco, le 6 février 2020, la ville d’Ottignies-Louvain-la-Neuve a réagi six jours plus tard via un arrêté de police ordonnant la démolition des entrepôts incendiés et l’évacuation des produits chimiques encore présents sur le site. « Vous me dites qu’il y avait sur place un stockage très élevé de produits dangereux pour l’environnement ? Mais moi je n’avais pas à vérifier, commente aujourd’hui la bourgmestre écologiste Julie Chantry. On m’a dit que les substances les plus dangereuses avaient pu être protégées par les pompiers. Lorsque la firme m’a demandé l’autorisation de démolir les entrepôts, oui, j’ai fait démolir. Quant à la pollution des sols, c’est une matière régionale. »
Auprès de la bourgmestre, aussi, nous avons insisté. « Mais il s’agit d’une usine chimique. Ça n’est pas si courant, l’incendie d’une usine chimique. Vous n’avez pas cherché à savoir ce qu’il y avait au juste dans ces entrepôts ? » Sa réponse : « Vous sous-entendez une négligence de ma part, c’est ça ? Je vous l’ai dit, ce n’était pas à moi de vérifier. »
Au passage, avons-nous demandé, quelles conditions doit remplir une usine chimique comme Realco pour s’établir sur le parc scientifique de Louvain-la-Neuve ? Ce site dédié à la recherche pourrait-il accueillir un site Seveso ? Réponse de la bourgmestre : « Je ne sais pas. Il faudrait que je me renseigne. »
Février 2020. Le tri des contenants percés et dangereux.
Le 13 janvier 2021, la firme Realco a obtenu auprès de la Région wallonne un nouveau permis d’environnement pour ses entrepôts à reconstruire. En pareille circonstance, la ville d’Ottignies-Louvain-la-Neuve joue le rôle de simple boîte à lettres : elle a transmis la bonne nouvelle au CEO de Realco, George Blackman. La Région wallonne, actionnaire de Realco à hauteur de 25,91%, n’a exigé aucune étude d’incidences environnementales. En revanche, la reconstruction a été assortie de la nécessité d’assainir les sols pollués. Car oui, ils le sont. « Rien d’anormal, tous les sols sont pollués en Wallonie, estime George Blackman. Une partie de cette pollution est historique. Elle était là avant que nous arrivions. L’autre partie date de l’incendie. Avec les autorités wallonnes et l’UCLouvain, propriétaire des terrains, tout s’est bien passé. Six taches polluées ont été identifiées par les gens d’Hydreau, une société agréée par la Région. »
Cette étude des sols semble secrète. Nous n’avons pu la lire. C’est une autre administration wallonne qui est chargée de cette procédure – la Direction de l’assainissement des sols. D’après les bribes d’information que nous avons pu recueillir, il y a eu une hésitation quant à la méthode de « nettoyage » des sols. Les travaux ont été entamés le 15 octobre 2021. Comme l’indiquent les photos ci-contre, le terrain incendié a bien été sondé à six endroits. « La solution retenue a été d’excaver les terres polluées », indique le CEO de Realco. Selon nos observations, les pelleteuses ont creusé jusqu’à environ cinq mètres.
Automne 2022. Extraction des terres polluées.
Est-ce suffisant ? Nous avons interrogé un spécialiste du cycle de l’eau. Il ne connait pas le dossier Realco, mais son avis est en phase avec d’autres témoignages ou commentaires : « Dans cette zone géographique, la nappe phréatique se trouve à une profondeur variant entre 31 et 36 mètres. La géologie comprend à peu près 10 mètres de limons qui reposent sur une épaisse couche de sables du Bruxellien, laquelle avoisine parfois les 40 mètres d’épaisseur. En termes de vulnérabilité, la couche de limon peut faire l’effet d’une couche protectrice parce que, relativement épaisse, elle a une bonne capacité de rétention de certains polluants, tout en ayant une vitesse d’infiltration relativement faible. Malgré cela, les polluants pourront migrer progressivement vers la nappe, entrainés par l’eau de pluie infiltrée. Cela pourrait prendre plusieurs années, voire une décennie entière, avant que la pollution ne rejoigne donc la nappe phréatique. »
En ce qui concerne les couches superficielles, les règles en vigueur en Wallonie stipulent qu’un « rapport d’évaluation finale » doit être envoyé à la Direction régionale de l’assainissement des sols dès que les travaux de nettoyage ont été opérés. L’administration wallonne peut approuver ou contester. En cas de feu vert, les investissements prévus peuvent commencer. La firme en question a 60 jours pour envoyer ce rapport.
Realco semble se passer de cette validation. Le 10 janvier dernier, deux ans jour pour jour après l’incendie, la société cotée en bourse a annoncé par voie de presse qu’elle entamait la reconstruction de son site de production… sans que la procédure d’assainissement n’ait été finalisée. Deux mois plus tard, soit le 10 mars, une chape de béton était posée et des grues ont ensuite érigé les piliers du nouveau bâtiment. Au même moment, la DAS (Direction de l’assainissement des sols) indiquait qu’elle n’avait toujours pas réceptionné le document d’évaluation. Comment corriger une anomalie, le cas échéant ?
¹ En fait, ce rendez-vous a duré 1h26 minutes.
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