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Ils et elles sont professeurs, hydrologues, habitant.es des lieux, guide nature, ingénieur.es.
Ce récit est aussi le puzzle de leur expertise, de leurs observations de terrain et de leur vigilance citoyenne.
À Louvain-la-Neuve, le plus grand parking-relais du Benelux, financé avec de l’argent public, a été construit à l’endroit d’une cuvette naturelle et d’un cours d’eau intermittent. Le mastodonte de béton y a pris place sur 2,5 hectares et par 16 mètres de fond. En juin et juillet 2021, le parking est inondé. Les bassins d’orage du parc « Courbevoie » mitoyen débordent. Des habitants font appel aux pompiers. Pourquoi ? Comment ? La réponse se trouve dans une étude de 2019 sur l’impact hydrologique de ces travaux d’extension de la ville. Ce document est maintenu secret. Nationale 4 en révèle des extraits. Les bâtisseurs ont cru que le béton arrêterait l’eau. Et c’est l’inverse qui s’est produit.
Il y a 500 millions d’années – Quand Le passé vient éclairer le présent
Au début du récit, il y a le plateau de Lauzelle, là-haut, à la pointe de la Hesbaye brabançonne. Il y a de ça 500 millions d’années, la terre à cet endroit et ses schistes se soulèvent. Le massif du Brabant est montagneux. Puis passe le temps, les océans vont et viennent, arasant peu à peu les monts pour ne laisser qu’une plaine inclinée. Dans cette zone d’estuaire, il y a 50 millions d’années, le sable se dépose en couche épaisse. Les limons éoliens viennent finalement recouvrir le tout, la terre y est riche.
Aujourd’hui, là où les entités d’Ottignies et de Louvain-La-Neuve se sont implantées, ce plan incliné persiste. Il est orienté nord-est/sud-ouest, filant de la E411 vers la vallée de la Dyle. Le dénivelé ? 60 mètres, tout de même. Nationale 4 vous invite à le parcourir à vélo, dans le sens de la montée, pour le sentir et le comprendre. Nous sommes bien en Brabant wallon. Ça grimpe…
Coupe topographique réalisée par Vincent Pourcelle, guide-nature.
À la surface du plateau, un sillon s’est creusé au cours des siècles au lieu-dit de « la Baraque ». Sur ses flancs, l’eau descend des champs de Lauzelle, au Nord, et là où se trouve le parc scientifique, au Sud.
Dans ce creux, mitoyen de l’actuelle Nationale 4, les eaux amoureuses de la gravité se sont accumulées. Elles affleurent en surface de l’éponge sableuse, formant une nappe d’eau superficielle. Un « coulant d’eau », dit « de la Baraque », apparait par intermittence, permettant aux eaux de pluie de rejoindre la Dyle par la vallée de la Malaise.
En 1800, les hommes qui y cultivent la terre le connaissent bien. Ils habitent en hauteur, le long de ce qui deviendra la N4, dans le hameau de la Baraque. Et ils dédient les terres de part et d’autre de la zone humide au pâturage car elles sont difficilement cultivables. Dans les années 1990-2000, les canards barbotent régulièrement dans ce cours d’eau dont le niveau fluctue. Les chevaux s’y abreuvent et les enfants y font les 400 coups.
En 1865, les cartes militaires renseignent avec précision ce creux – ou thalweg – de la Baraque.
La carte IGN de 2002 figure elle aussi l’existence de ce cours d’eau intermittent, passant sous la N4 à deux endroits. Ainsi, « on » savait. L’eau est là.
2000 – Une dalle immobilière et beaucoup d’eau à gérer
Quand l’UCL vient s’installer sur ce plateau de Lauzelle, son plan directeur² , approuvé en 1969, est clair : « Le site doit être la matrice de la ville. »³ Là où vient la nouvelle université, on promet de tenir compte du relief. Au centre se trouve une dalle de béton. Par-dessus, pas de densité maximum prévue. Les autorités académiques montent l’occupation à 250 logements par hectare. Une densité similaire au centre de Paris. Fameuse aubaine pour les promoteurs et… le propriétaire historique.
Tout autour, au gré des vallons, les maisons s’érigent sur la terre ferme, sous la forme d’un trèfle à cinq feuilles. Ainsi la ville se développe-t-elle sur une combinaison de gabarits de taille humaine et de rues entortillées, accrochés aux dénivelés naturels. On parle encore d’une cité modèle, d’une ville à la campagne.
Mais voilà qu’à l’aube des années 2000, la ville universitaire prend un nouveau tournant. Le centre commercial « L’Esplanade » ouvre ses portes en 2005, puis une excroissance de la dalle s’invite au milieu des vallons, non prévue dans le plan initial. C’est le projet « P+R & Courbevoie », lancé à partir de 2010.
Ce nouveau quartier fera couler beaucoup d’encre. Le long du boulevard de Wallonie, partant du centre-ville et remontant vers la N4, entre les quartiers de Lauzelle et de la Baraque, le lotissement Courbevoie et ses 650 logements s’érigent sur le dos d’un bout de dalle supplémentaire. Et en dessous ? Un parking sous-terrain géant de 3.300 places, censé détourner les navetteurs de la E411 et les emmener près de la gare SNCB. Enfin, ça, c’est le pari. Des études spécifiques interpellent. Déjà. Passons… Pour permettre la venue de ces deux projets surdimensionnés, le vallon ancestral est remblayé, le thalweg par où s’écoulaient toutes les eaux de la zone est déplacé et rehaussé, et ce sont 2,5 hectares de terre riche en alluvions qui sont ainsi imperméabilisés.
L’égouttage des eaux pluviales de la ville, lui, n’a pas été prévu pour assurer le coup. Il faudra donc gérer autrement les eaux d’écoulement de cette nouvelle dalle et de son cours d’eau contigu. Aux abords du mastodonte de béton, un réseau de quatre bassins d’orage est ainsi imaginé : les trois premiers tamponnent les eaux dans leur descente, le 4ème les récolte en contrebas dans un réservoir souterrain de 650 m³. À sa sortie, l’eau est bridée au régime de 30 litres par seconde, au maximum. Elle est dirigée vers un collecteur d’eau pluviale situé à l’arrière de l’Esplanade, à la hauteur du « Quai 20 », et finit sa course dans le lac.
Ce grand complexe de bassins aux berges pentues reçoit le doux nom de « Parc de la Courbevoie ». De l’ingénierie immobilière. Accrochez-vous. Un : propriétaire des terrains, l’UCLouvain constitue la SA Courbevoie. Deux : elle demande au bureau Agua de dessiner le parc et ses bassins, et elle en confie la construction à deux géants de la brique, Thomas&Piron et Besix, réunis au sein de l’association momentanée « Les Jardins de Courbevoie ». Trois : à terme, il est prévu que ce parc commandé à titre de « charge d’urbanisme » soit rétrocédé à la ville d’Ottignies-Louvain-la-Neuve. Celle-ci en assumant dès lors la responsabilité et l’entretien.
2010 – L’étude d’incidences loupe l’enjeu hydrologique
Pour préparer l’arrivée du parking SNCB et celle du lotissement adossé, des études d’incidences sur l’environnement sont réalisées par le bureau ARIES. Datant de 2010 et 2011, elles notifient la faiblesse du collecteur en aval et la sensibilité de la zone : « L’enjeu hydrologique du projet n’est pas négligeable, le réseau d’égouttage en aval du projet montrant déjà actuellement des signes de saturation. L’implantation du parking impliquant l’imperméabilisation d’une grande portion de terrain, le projet pourrait, de plus perturber, l’alimentation de la nappe. »⁴
Comment ne pas y voir un feu orange, tout de même ?
Les mêmes étude indiquent également que « Le site ne se situe pas en zone d’aléa d’inondation par débordement de cours d’eau. » Rien n’y est mentionné sur les risques d’inondation par ruissellement. Le « coulant d’eau » intermittent bien connu de ses habitants, et mentionné dans l’enquête publique préalable, n’est pas évoqué. Et les eaux d’écoulement en provenance du bassin versant situé au-delà de la N4, en provenance de l’autoroute E411 ne sont pas du tout intégrées dans le calcul du dimensionnement des bassins d’orage. Ce sont donc 17 hectares situés en amont qui manquent à l’appel, soit 15 hectares de champ et 2 hectares de voiries (la N4 elle-même et l’échangeur 8A de l’autoroute).
Une omission de taille à laquelle ne réagit ni l’UCLouvain ni la Ville !
2020 – Des bassins sous pression, un hydraulicien s’interroge
En février 2020, à la demande des habitants de la Baraque, une visite du site est organisée. Professeur émérite en hydraulique, à l’UCLouvain, Yves Zech y participe. Une note de calcul sommaire lui est remise par l’ingénieur qui pilote la visite. Suite à l’analyse de cette note, à titre privé, le Pr Zech remet en cause le dimensionnement du bassin supérieur, le volume d’eau y entrant et la hauteur de ses murs. Il propose notamment d’inclure dans les calculs un temps de retour supérieur à 20 ans, afin de tenir compte des changements climatiques5. Ses questions adressées au bureau Agua, responsable de la conception des bassins, restent sans réponse.
Le 22 juin 2020, le promoteur « Les Jardins de Courbevoie » prend position. En réponse aux questions des habitants, il écrit ceci : « Concernant les questions posées par M. Zech, elles supposent qu’une étude soit à nouveau réalisée, bien plus globalement que sur le périmètre de nos ouvrages. Nous vous renvoyons aux notes techniques et à l’étude des incidences qui ont accompagné les permis. Nous n’avons pas l’intention de financer de nouvelles études sur un périmètre plus large où nous n’avons aucun rôle à jouer. »
Le promoteur botte en touche.
Eté 2021 – L’eau monte puis déborde
Les 4 et 30 juin 2021, à la suite de fortes pluies, l’eau monte donc. En aval, le bassin d’orage final, le 4ème, ne suit plus et déborde. En amont, à proximité d’habitations, l’eau grimpe à 4 centimètres du bord du premier bassin. Ça craint.
Puis, en juillet 2021, les fortes pluies de l’été provoquent des débordements conséquents sur les bassins en amont et en aval. Avenue Georges Lemaître, le collecteur d’eaux pluviales, dont la faiblesse est déjà connue historiquement, est dépassé par les événements. Les eaux en excès vont jusqu’à occasionner des dégâts à la station électrique de 36 kV située à proximité de l’Esplanade. C’est l’une des plus importantes de la région. En amont, les habitants doivent appeler les pompiers. Le parking géant de la SNCB est également inondé pendant plusieurs semaines. Déserté, vide, mais sous eau.
Mais d’où vient toute cette eau qui, depuis deux ans, arrive en surabondance dans cette zone proche de la gare et du centre ? La question paraît naturelle. Dans les milieux politiques et à l’UCLouvain, c’est le silence absolu.
Automne 2021 – Une étude cachée aux habitants depuis 2 ans
En octobre 2021, lors d’un comité de suivi du chantier des accès au P+R, les habitants apprennent avec surprise l’existence d’une étude hydrologique supplémentaire sur la zone Courbevoie. Commandée par l’UCLouvain, celle-ci a été réalisée en 2019 par le même bureau ARIES, qui a été à l’œuvre en 2010. Une étude relative à la « gestion des eaux dans le cadre de l’aménagement du lotissement de Courbevoie à 1348 Louvain-la-Neuve ». Une étude éclairante sur la problématique des écoulements d’eau de la zone et sur les solutions préconisées.
L’Association des Habitants (AH) en demande une copie à l’UCLouvain. « C’est une étude technique qui ne concerne que la zone des accès au parking et non celle liée au lotissement », répond Nicolas Cordier, directeur de la société Inesu-Immo safs, le bras immobilier de l’UCLouvain.
Avril 2022 – Mais que contient cette étude gardée secrète ?
Nationale 4 a pris connaissance d’éléments édifiants de cette étude, apparemment secrète. C’est simple et lumineux à la fois.
Pour la première fois, cette étude – datant de 2019 – prend en compte l’existence du bassin versant situé entre la N4 et la E411 et dont les eaux s’écoulent de facto dans les bassins d’orage du parc, via le thalweg naturel et historique de la zone.
Ces hectares qui avaient été ignorés dans l’étude de 2010, l’étude confidentielle les met en lumière et permet de comprendre que les bassins de rétention du parc ont été dimensionnés uniquement pour le projet P+R & Courbevoie, soit 9 hectares. En omettant littéralement toute l’eau issue du bassin versant situé de l’autre côté de la N4, existante avant l’arrivée du projet. Soit, en effet, une bande de terre de 15 hectares et les 2 hectares de voiries voisines.
Petit focus sur le champ. Une balade sur les lieux ou encore le relevé cartographique ci-dessous permettent de visualiser ce bassin versant à double pente, mystérieusement « oublié » par les concepteurs du projet. Toutes les eaux du champ en question convergent à hauteur d’un point bas situé près du rond-point de la sortie 8A de l’autoroute.
Une canalisation passant sous la N4 ramène les eaux de ce champ vers le centre de Louvain-la-Neuve, via un collecteur qui existait lui aussi déjà bien avant le projet. Une sorte de « bassin » creusé à la va-vite et sans permis spécifique les recueille alors en bordure de la N4 avant de les conduire vers les bassins du parc Courbevoie, venant ainsi gonfler le flot des eaux en provenance du lotissement et de ses abords. Tout cela était prévisible depuis bien longtemps.
Pourquoi l’étude de 2019, dont nous avons pu lire des extraits mais pas l’entièreté, n’est-elle pas rendue publique ? Veut-on occulter ses conclusions ?
Nous avons sollicité la ville d’Ottignies-Louvain-la-Neuve et la direction de l’UCLouvain. Voici leurs réponses. Elles indiquent une volonté évidente de conserver l’information.
« L’étude hydrologique réalisée par le bureau ARIES, en 2019, a été commandée par l’UCLouvain dans le cadre d’une réflexion plus globale qu’uniquement Courbevoie. Il s’agit d’une étude pour accompagner des réflexions internes que nous ne souhaitons pas diffuser. », indique Nicolas Cordier, le directeur de l’Inesu, une des filiales (immobilière) de l’Université.
La bourgmestre d’Ottignies-Louvain-la-Neuve, l’écologiste Julie Chantry, ne peut nous aider : « L’étude hydrologique que vous évoquez a été réalisée à la demande de l’UCL par le Bureau ARIES. La Ville n’ayant rien commandé, elle n’a aucun droit sur ces documents et n’a pas la légitimité de vous en communiquer le contenu, et ce même si elle en avait copie. C’est pourquoi nous ne pouvons que vous suggérer de solliciter l’UCLouvain à ce propos, et ne pouvons accéder à votre demande. »
Des solutions sont pourtant préconisées, sur le tard, par le bureau ARIES. Des solutions de rétention qui demanderont une prise de responsabilité face à la situation de fait. Et d’allouer du terrain et des infrastructures pour prendre en charge les flots. Sans quoi de nouvelles inondations sont à craindre. Mais à qui d’assumer ces travaux ? L’UCLouvain doit-elle prendre l’initiative ? Ou la ville ? Elles ont l’habitude de se renvoyer la balle. Ou alors y aurait-il eu vice de forme, ce qui embarrasserait les entreprises de construction, voire le promoteur immobilier ? Enfin, qu’en pense la Région wallonne, qui a financé les voiries et le parking SNCB ?
En attendant, les années passent, le silence se fige et rien ne bouge. Illustration : le parc est cerclé de barrières métalliques depuis… près de deux ans. Les jardins sont dessinés, l’herbe est verte. Les habitants n’y ont pas accès. Et jusqu’à présent, personne n’y comprenait rien.
En contrebas du quartier Courbevoie, c’est le chantier d’Infrabel qui a démarré. L’objectif consiste à prolonger les voies de chemin de fer, avec à la clé une nouvelle dalle sur-constructible en couverture. Ce qui reviendra à poursuivre l’imperméabilisation des sols. Sans qu’à nouveau, aucune étude sur la capacité du réseau d’égouttage n’ait été réalisée. Alors que ce chantier a lieu dans une zone classée par la Région wallonne en « aléa élevé d’inondation par débordement et par ruissellement ». Avec quelles nouvelles conséquences ?
¹ Nom d’emprunt
² Neuf principes ont présidé à la création de Louvain-la-Neuve. Ils servent de guide au plan directeur qui a été à l’origine de la conception de la ville. Accessibles sur ce lien.
³ C’est-à-dire que « les structures géographiques du terrain, son relief, la végétation existante, etc. vont non seulement déterminer la forme de la ville, mais seront aussi une source de richesses formelles ».
⁴ Etude d’incidence environnementale du Parking et du lotissement Courbevoie, Octobre 2010 et Mars 2011
5 Cette demande a aussi été formulée par des habitants, dix ans auparavant, dans le cadre des multiples enquêtes publiques.
On est bien d’accord. Si une étude hydrologique de 2019 annonçait les flots d’eau qui ont noyé les abords du parc Courbevoie et les étages “moins deux” et “moins cinq” du parking voisin, il faut en prendre connaissance. Mais où est ce document ?
Mardi 26 avril. Notre investigation sur les inondations dans la zone Courbevoie, à Louvain-la-Neuve, est publiée sur notre site nationale4.be, en accès libre. Il y a là un bout de dalle supplémentaire et un parking souterrain financé par la SNCB, un quartier résidentiel construit sur son dos et, à côté, un parc cerné de barrières métalliques depuis bientôt deux ans. Or, disons-nous, les bassins de ce parc sont sous-dimensionnés, abreuvés d’un trop-plein d’eau venant d’une zone « oubliée » de 17 hectares, située en amont de la N4. Ils débordent quand il pleut trop. Une étude commandée et détenue par l’UCLouvain existe. réalisée en 2019, deux ans avant les inondations de l’été dernier, elle préfigurait ce qui s’est passé et dégageait des solutions. Mais elle reste confidentielle.
La reprise du parc Courbevoie monte au conseil communal
Il est 22h en ce même mardi 26 avril 2022 quand le dossier relatif à la reprise du parc Courbevoie – par la Ville – s’invite pour la première fois au conseil communal d’Ottignies-Louvain-la-Neuve. Exerçant son droit d’initiative en tant que « partenaire issu de la minorité », le collectif citoyen Kayoux a introduit le point à l’ordre du jour. Il amène le sujet en débat. Là où il doit avoir lieu : dans l’espace démocratique.
L’enjeu, en très condensé : qui doit assumer le souci lié aux bassins d’orage ? L’UCLouvain est le propriétaire historique des terrains. La ville doit gérer l’égouttage. Les bâtisseurs et le promoteur immobilier pourraient être concernés, eux aussi. Quant à la SNCB et la Région wallonne (les contribuables, en fait), ils ont financé le mystérieux parking.
Qui doit prendre ses responsabilités ?
Pendant 25 min, le porte-parole du collectif Kayoux s’appuie sur l’information fournie par NATIONALE 4 pour expliquer le nouvel état de la situation et poser ses questions.
L’exposé du conseiller communal Stéphane Vanden Eede est jugé « clair » et « pertinent » par le président d’assemblée et par plusieurs intervenants, y compris ceux de la majorité.
Puis vient le temps des réponses. Pour rappel, Ottignies-Louvain-la-Neuve reste dirigée par une coalition Ecolo/PS/Les Engagés (le nouveau nom du cdH).
En voici quelques extraits.
Les echevins et la minorité prennent la parole
Benoît Jacob, échevin de l’Urbanisme, issu du groupe Avenir (Les Engagés) ouvre le feu : pour sa part il met le focus sur le respect strict du permis.
C’est au tour d’« Hadelin ». Hadelin de Beer, nouvel échevin écologiste des Voiries : il est en charge de la partie sensible du dossier, les « bassins ». Pour rappel Avenir et Ecolo se sont rentrés dans le chou en février dernier. La majorité a failli éclater. Voici ce qu’il déclare :
Julie Chantry intervient aussi. C’est la bourgmestre. Ecolo détient le poste depuis le 1er janvier 2000. Sa courte intervention balance entre « transparence » et « bonne gestion ». Elle ne s’exprime pas sur le fond.
Puis vient le tour de Cédric du Monceau, ex-échevin de l’Urbanisme, membre du groupe Avenir. Son propos : prudence et changements climatiques.
Le chef de l’opposition, Nicolas Van Der Maren, conseiller communal MR, prend alors la parole et demande clairement l’accès à la fameuse étude.
Comme le prévoit le règlement communal, c’est à Kayoux que revient le dernier mot. C’est lui qui a mis le point à l’ordre du jour. Stéphane Vanden Eede :
11 secondes de silence clôturent le débat.
Conclusion : le groupe citoyen Kayoux et le principal parti d’opposition, les libéraux du MR, estiment – ensemble – que l’étude dont nous avons défloré le contenu devrait être rendue publique.
Deuxième évidence : la commune connait apparemment « la solution ». La bourgmestre et les échevins ont-ils déjà accès à l’étude ? La bourgmestre Julie Chantry hésite, ne sait pas. Les échevins se taisent.
Hiatus entre l’uclouvain et la ville
Le lendemain, mercredi 27 avril, c’est la presse locale qui rebondit à son tour. Quentin Colette, du journal L’Avenir résume l’intervention de Kayoux au conseil communal, ne mentionne pas l’existence d’une étude hydrologique, mais interroge l’UCLouvain plus en avant et précise le hiatus entre les partenaires de la majorité : « Oui », peut-on déduire, les bassins d’orage feront bien partie de l’acte notarié de reprise du parc par la ville ; « non », l’UCLouvain, propriétaire des terrains, ne construira pas de bassin d’orage en amont. Voilà qui entre en dissonance avec les dires de l’échevin de Beer de Laer, la veille.
Aujourd’hui, on en reste là. Le béton coule, la construction du quartier se poursuit et on ne sait toujours pas qui assumera la responsabilité de ce qui ressemble à une erreur de conception. En cas de nouvelle inondation, on verra.
Mardi 24 mai 2022. En équipe, chez NATIONALE 4, nous nous demandons jusqu’où va le rôle d’un.e journaliste d’investigation. Après avoir recoupé nos informations, nous avons publié le contenu d’une étude hydrologique préfigurant en quelque sorte les débordements du parc Courbevoie et l’inondation du parking SNCB voisin, à deux reprises, au cours de l’été 2021. Cette publication, c’était il y a un mois quasi jour pour jour. Nos informations ont été présentées sur ce site à l’aide de dessins, de graphiques, d’images. Nous avons privilégié le temps long. Nous avons relevé par exemple que bien avant l’arrivée de l’UCL sur le territoire d’Ottignies et la construction récente du quartier Courbevoie, il y avait là un cours d’eau intermittent et que sa présence ainsi que le ruissellement des eaux provenant de champs tout proches ont été négligés. D’où ces trombes d’eau qui ont noyé le parc et le fameux parking de dissuasion… Nous avons cherché à obtenir l’intégralité de cette étude hydrologique, qui remonte à 2019, commandée par l’UCLouvain auprès d’un bureau d’études indépendant. Malgré nos demandes insistantes, ni l’UCLouvain ni la ville d’Ottignies-Louvain-la-Neuve (OLLN) n’ont souhaité donner l’accès intégral à ce document. Dès lors, estimant que les inondations sont l’affaire de toutes et tous, nous avons mis sur la table les extraits essentiels de ce document. Il nous semble qu’ils pointent le doigt sur un problème de conception. Ceci a été longuement évoqué lors d’un conseil communal qui s’est tenu à Ottignies-Louvain-la-Neuve, le 26 avril 2022. Et depuis ? Rien. L’étude reste secrète. Principale formation d’opposition à OLLN, le MR a suivi le collectif citoyen Kayoux et demandé que l’étude déflorée par NATIONALE 4 vienne nourrir le débat démocratique. Qu’y aurait-il donc à cacher ? Pourquoi donc les autorités académiques et le pouvoir communal, qui se chiffonnent sur la gestion de la chose publique – le comble sur ces terres de savoir –, ne s’obligent-ils pas à un élémentaire devoir de transparence ?
À Louvain-la-Neuve, Infrabel a demandé à la firme Franki d’allonger les quais. Soi-disant pour rapprocher les navetteurs du plus grand parking du Benelux, toujours aussi vide. Dans les faits, ce sont des ouvriers africains pas trop bien équipés qui font le boulot ingrat : creuser la terre (sans doute) pour une croûte de pain.
La vie est un long chantier. Et les premiers beaux jours du printemps ont redonné le sourire aux ouvriers de toutes firmes, toutes origines et tous statuts qui s’affairent entre la Nationale 4 et la gare de Louvain-la-Neuve. Il y a là, en résumé : un bout de ville chic en construction (le quartier Courbevoie), un parc bien vert mais interdit d’accès par de hauts grillages¹ et enfin, juste à côté de la gare, une nouvelle zone livrée aux pelleteuses. Intéressons-nous à ce dernier petit chantier : le mystérieux allongement des voies de chemin de fer. Le schéma ci-dessous aidera les lecteurs et les navetteurs à s’y retrouver. Sait-on jamais.
Ce mardi ensoleillé de mars, Cheikhou² a ôté le pull vert où apparaît l’insigne de la firme Belgium Full Services. Il porte un casque jaune et semble équipé d’une tenue de travail sécurisée. Chaussures aux extrémités renforcées, pantalon à poches, t-shirt sobre et efficace vu les 20 degrés déjà claquants. Cheikhou est au bord du trou. Au propre. Juste à côté de lui, il y a un trou d’environ deux mètres sur cinq. C’est là qu’une équipe de 8 travailleurs sénégalais ou angolais creusent à la pelle, à la pioche et parfois au marteau-piqueur depuis plusieurs jours. La gare est à cent mètres. Il y a beaucoup de passage près du trou des manœuvres africains, souriants et ouverts à un brin de causette. Des étudiants, des cadres de l’UCLouvain ou encore l’échevin des Travaux d’Ottignies-Louvain-la-Neuve passent par là tous les jours, ou presque.
Écoutons Cheikhou, qui s’explique en français, la langue véhiculaire du Sénégal : « Je n’ai pas à me plaindre. Les conditions de travail sont meilleures que sur d’autres chantiers où on nous harcèle parfois, Belgium Full Services vient nous chercher en camionnette à Bruxelles où nous logeons dans des chambres de quatre, y a pas de boulot de week-end et je gagne 2.000 euros par mois. » Suit un énorme sourire. 2.000 euros, quand même !? Semai est venu d’Angola, une ancienne colonie du Portugal. Il dit avoir été en contact avec une société de ce pays partenaire de l’Union européenne. Il corrige en douce ce que dit Cheikhou : « Da para viver. » Traduit du portugais : ce qu’on reçoit, « ça va pour vivre. »
C’est quoi leur job ? Défaire la terre autour d’impétrants variés, dont certains ont été posés il y a quelques années à peine par le fournisseur de gaz et d’électricité Ores. Creuser le trou de manière prudente afin de déplacer ces fils et conduites et permettre un peu plus tard, d’ici la fin 2022, le fameux allongement des rails commandé par l’entreprise publique Infrabel. Et c’est dangereux, demande-t-on à Cheikhou et à un autre collègue de chez Belgium Full Services ? « Non, non, pas trop. » Nouveau sourire. Pendant ce temps, ils creusent, ils creusent puis évacuent la terre sablonneuse à la brouette.
Nous tournons la tête à nonante degrés et fixons la cabine haute tension de 36kV qui envoie du jus jusque chez GSK, à Wavre, et nous nous disons que, tout de même, ça peut être dangereux de travailler là, sur ces impétrants qu’il s’agit de repérer puis de déplacer pour laisser place aux rails.
Lorenzo, d’une autre firme de sous-traitance, confirme : « Oui, bien sûr qu’il faut faire gaffe ici. » Lui, il dirige une pelleteuse en contrebas. « Ces mecs, ils font à la main le boulot dont les Belges ne voudraient pas. Et bien sûr qu’ils ne touchent pas 2.000 balles pour ça. » Nous attirons l’attention de Lorenzo sur les jeans troués de certains travailleurs africains, leurs simples baskets ou l’absence de casque, à l’occasion. Il sourit jaune : « Vous pensez que ça les protégerait s’ils se prennent un câble ? »
Pour plus de renseignements, Cheikhou, Lorenzo, Semai et les autres renvoient vers le chef. Ils décrivent Denis, assez grand, des lunettes. « C’est lui qui donne les consignes », disent-ils. Il est contremaître chez Franki, un fleuron de l’industrie belge. « Le chef est là tous les jours. Enfin, aujourd’hui, il est déjà parti », rigole l’un deux. Allons voir Denis et Franki. C’est logique : sur l’affiche apposée aux barrières de métal qui annoncent les travaux la personne de contact, c’est ce Denis.
Nous téléphonons au chef. L’accueil est plutôt glacial. « Vous dites qu’il y a beaucoup de sous-traitants sur le chantier et personne de chez Franki ? Si, y a moi. Et puis, heu, grrr, zzz (y a du grésil sur la ligne), faut voir ça avec Infrabel, hein. » Ah bon ? Ils bossent pour qui, ces ouvriers, au juste ? Rendez-vous est pris le lendemain avec Denis. Ce mercredi-là, il n’y a plus de travailleurs sans casque ou en pantalon troué dans le trou. Le chantier est bien net. Deux cadres de Tuc Rail (Infrabel) et le chef de chez Franki ont repris le contrôle et font de grands signes de bras, comme lors d’une vraie réunion de chantier.
Nos questions portent sur la nature des travaux : les trois confirment les 3,5 millions d’euros de marché public, passé en 2019, pour l’allongement des quais sur 70 mètres. Mais pour quoi faire ? Oh ça, ils savent pas trop. « Nous, on allonge, on prépare la suite. » Quoi ? Un prolongement de la dalle historique de Louvain-la-Neuve afin de rejoindre le quartier Courbevoie et permettre la construction de beaux appartements ou d’un centre de bureaux ? « Euh, non, pas que je sache, jamais entendu ça », répond Denis de chez Franki. C’est pas un bleu, ce Denis. Il a la quarantaine et il a travaillé pour plusieurs noms connus dans le secteur de la construction.
Vous dites qu'il y a beaucoup de sous-traitants sur le chantier ? Il faut voir ça avec Infrabel...
Le contremaître de la firme Franki
Nos questions piquent un peu. Un d’eux dit, d’un ton allusif mais zen. « Nous savons qui vous êtes… » Nous insistons surtout sur les conditions de travail, les équipements de sécurité et la firme de sous-traitance Belgium Full Services. Les réponses viennent vite, sauf lorsqu’il s’agit de Belgium Full Services. « Oui, c’est moi leur chef³, dit Denis. C’est moi qui suis chargé de vérifier leurs équipements. Les baskets, elles ont un bout renforcé et elles sont réglementaires. Les pantalons troués, ça arrive, ça, sur un chantier. Le casque, ils sont censés en porter un en permanence, mais je suppose qu’ils l’ont enlevé un moment. » Nous demandons si les ouvriers sous-traitants sont tous déclarés, en clair s’ils ont droit à une protection sociale en cas d’accident. Denis sort d’abord un « euh ». Puis il s’oblige à l’assertivité. « Ils sont déclarés. Sinon, ils ne seraient pas sur ce chantier. »
Nous lui disons que Belgium Full Services, c’est tout petit, même si aux dires des hommes en pulls verts, « la société est présente sur des tas de chantiers » et qu’ils viennent ici « puis chez CIT-Blaton » ou encore qu’ils seraient « vingt ou cinquante », « c’est difficile à dire ». Bref, à nos yeux, BF Services ressemble tout de même fort à une société qui fournit de la main-d’œuvre bon marché. Mais là, Denis, le chef, il nous arrête. « Pour ça, faut voir avec eux. »
Avec qui ? BF Services a un gérant au nom portugais impossible à tracer. Son site est creux comme une conduite à impétrants. Il y est proposé des « devis grauit » sans le « t » et de la spécialité en gros œuvres, au pluriel. Personne ne répond jamais sur le numéro fixe, correspondant au siège social de l’entreprise et à un domicile privé dans la banlieue flamande de Bruxelles. « Téléphonez à Youssef, dit Denis. Enfin, à son retour de congé. Il est actuellement à l’étranger. » Ça, nous le savons. Nous avons cherché le contact avec Youssef, dont le gsm apparaît sur le pull de travail des ouvriers africains. Mais on l’« embête » et il a demandé de resonner la semaine prochaine. Youssef comment ? Denis ne sait pas. Ils se sont vus une fois.
Belgium Full Services est née officiellement en 2018. Cette société découle du travail à la chaîne du notaire bruxellois Pablo De Doncker, spécialisé dans la création de petites coquilles vides d’une, deux ou trois personnes actives dans la construction ou le nettoyage. En 2017 et 2018, le nom de ce notaire a été cité dans une filière de fraude sociale organisée où intervenaient ces micro-boîtes fournissant de la main-d’œuvre portugaise ou brésilienne à très bas prix⁴. En mai 2019, ce notaire issu d’un des dix plus gros bureaux du pays a été placé en détention préventive dans le cadre d’une affaire de fraude liée à un business de voitures d’occasion.
Mais revenons à Belgium Full Services. Au départ, il y a six ans, elle s’appelle Regenboog-Renovatie et elle a un responsable argentin. Puis, sous le même numéro d’entreprise, cette sprl va passer entre les mains de trois gérants différents et changer de siège à trois reprises. Dans ses derniers comptes annuels, BF Services, très endettée, annonce employer 4,2 équivalents temps plein et leur payer un total de 40.000 euros annuels. Le salaire d’un prof débutant.
Comment une société peut-elle présenter de si maigres résultats et s’avérer capable de mobiliser des équipes étoffées sur de grands chantiers publics comme celui de la gare de Louvain-la-Neuve (jusqu’à 8, le 18 mars) ? Denis, de chez Franki, s’en tire avec une pirouette. « Ce que vous évoquez, ce sont les comptes annuels de notre sous-traitant pour 2020. Là, on est en 2022. » A nos questions sur l’actuel volume d’affaires de BF Services et sa coopération avec Franki sur d’autres projets immobiliers, nous n’avons pas eu de réponse précise au siège social de ces deux sociétés.
Belgium Full Services déclare 3 travailleurs. Sur le chantier de la gare, il y en a 8. Et les ouvriers en pull vert parlent de 20 ou 50.
Le silence est identique chez Willemen. Ce groupe flamand dont Franki est une filiale truste les beaux contrats auprès de l’État depuis plusieurs années, notamment à proximité des gares. En juillet 2021, un de ses chantiers emblématiques du moment a été placé sous scellés judiciaires. Il s’agit d’un projet résidentiel à Auderghem (Bruxelles), sur le site Delta View situé entre l’ULB et le nouveau complexe hospitalier investi par le Chirec. Les soupçons évoqués à l’époque par l’Auditorat du travail de Bruxelles, tels que répercutés par plusieurs journaux : « Trafic des êtres humains, mise à disposition illégale de travailleurs et usage de faux documents à des fins de fraude sociale ».
Ces dernières années, il a aussi été reproché à Infrabel (et à la SNCB) de fermer les yeux sur des infractions pénales comparables suite à divers travaux commandés à des firmes de renom du secteur de la construction. Sur le tracé du Réseau Express Régional (RER), par exemple. Ou lorsque le parking de dissuasion de… Louvain-la-Neuve a été érigé sur les terres de l’UCLouvain, où se dessinait le quartier Courbevoie.
De nombreuses enquêtes journalistiques ou syndicales ont mis en lumière le mode de fonctionnement vicié du secteur de la construction : les marchés publics sont le plus souvent adjugés sur le seul critère des prix. Et pour présenter l’offre la plus intéressante, les leaders du secteur, qui se coalisent généralement, intègrent dans leurs calculs une part de main-d’œuvre étrangère aux prix planchers. Moins de cinq euros de l’heure dans certains cas.
Pour débusquer ces manœuvres de l’ombre, l’État fait pâle figure, même si le ministre socialiste de l’Economie et du Travail Pierre-Yves Dermagne vient d’annoncer qu’il réfléchissait à des moyens renforcés pour lutter contre l’exploitation de travailleurs ayant fui l’Ukraine. En Brabant wallon, des sources concordantes indiquent qu’il n’y a tout simplement plus de réels moyens pour de grosses opérations de contrôles sur chantier.
¹ On y reviendra dans un prochain article
² Tous les prénoms ont été modifiés.
³ Un critère pour distinguer la sous-traitance autorisée et la mise à disposition illégale de travailleurs, c’est précisément le degré d’autonomie des équipes de sous-traitants. Des juges ont condamné des firmes sous prétexte que leurs chefs de chantier étaient les vrais et seuls donneurs d’ordres.
⁴ Médor, hiver 2020. Articles sur la filière brésilienne.
Soupçons de fraude sociale organisée, à Louvain-la-Neuve, où les travaux d’allongement de la gare ont débuté dans la confusion.
Une dizaine d’agents ou inspecteurs chargés du contrôle des lois sociales et du bien-être au travail sont descendus, ce 28 avril, sur le chantier d’extension de la gare de Louvain-la-Neuve. Pour le compte de l’entreprise publique Infrabel, gestionnaire unique des infrastructures ferroviaires sur l’ensemble de notre territoire, la firme Franki y prépare l’extension des voies de chemin de fer en direction du nouveau quartier Courbevoie et du parking SNCB sur lequel ce lotissement est adossé. Pour ces travaux nécessitant de repérer, puis de déplacer les impétrants, parmi lesquels des conduites électriques à très haut voltage, Franki a elle-même fait appel à différents sous-traitants. Parmi eux : une petite société aux accents belgo-portugais, Belgium Full Services, utilisant des ouvriers africains.
La descente de police fait suite à une enquête publiée par NATIONALE 4, il y a un mois. Notre média en ligne expliquait les conditions de travail difficiles de ces ouvriers sénégalais ou angolais, emmenés en camionnette, logés ensemble à Bruxelles et opérant à proximité de câbles électriques sans être à chaque fois équipés de casques ou de tenues adéquates, selon nos constats. En mars, Belgium Full Services mobilisait (exploitait ?) encore 7 à 8 hommes sur ce chantier délicat. Dans ses derniers comptes annuels, cette micro-société bruxelloise affichait des effectifs de 4,2 équivalents temps-plein.
« Je peux vous confirmer la descente de l’inspection sociale, commente l’Auditeur du travail du Brabant wallon, Gautier Pijcke. Trois services étaient concernés : l’ONSS (Office national de sécurité sociale), l’Inasti (Institut national d’assurances sociales pour travailleurs indépendants) et le CLS (Contrôle des lois sociales). » Ce matin, il n’y avait que deux ouvriers sur le chantier. Aucune infraction flagrante ne semble avoir été constatée, sur le coup. « Mais, vous le savez, dit l’Auditeur, ce type de dossier nécessite un gros travail de vérification. »
Entre nos observations du mois de mars et celles d’aujourd’hui, le chantier semble avoir été sécurisé. Le trou dans lequel s’esquintait l’équipe de Belgium Full Services a été refermé. Les travaux en sont à une phase ultérieure.
Dans les milieux de l’enquête, on se dit « très préoccupés » par le développement anarchique des filières d’exploitation du travail dites « portugaises ». Différents auditorats du travail, en Brabant wallon et à Bruxelles, notamment, démontrent une volonté accrue d’en découdre avec les firmes privées ou publiques recourant à l’excès à la sous-traitance en cascade. Mais de nombreux observateurs insistent aussi sur le manque de moyens endémique pour lutter contre ce type de criminalité organisée.
Dossier à suivre.
Lors du festival « Maintenant ! », en septembre, Nationale 4 a organisé des visites de Louvain-la-Neuve centrées sur le quartier Courbevoie et le parking SNCB sur lequel il est adossé. Nous étions accompagnés par Marie-Hélène Lefèvre, de l’association Occupons le terrain. Découvrez ici la vidéo qui relate cette expérience de journalisme à pied.
L’autoroute E411 est connectée au parking SNCB de Louvain-la-Neuve. Mais ça ne marche (toujours) pas.
Nous l’avons testée pour vous (puisque vous ne l’utilisez pas) : la bretelle reliant la E411 à la gare de Louvain-la-Neuve, via un tunnel sous la Nationale 4, est ouverte aux automobilistes depuis le mardi 22 novembre. Près d’un mois, déjà. Sur l’autoroute, en provenance de Namur ou Gembloux, il faut emprunter la sortie 8A déjà existante. Là, après un long tournant, il y a deux possibilités. Si vous prenez à gauche, comme nous, c’est… loupé. Retournez à l’échangeur de Corroy-le-Grand et re-tentez votre chance !
Ces « petits » travaux payés par la Région wallonne ont duré trois ans. Un litige financier a gelé les grues ces derniers mois. Depuis son inauguration, le 9 octobre 2017, le fameux parking de délestage n’était accessible que depuis la Nationale 4. La nouvelle bretelle est censée faciliter l’accès à la gare.
Deuxième essai : il fallait donc prendre à droite et se glisser vers la bande d’accès, très mal indiquée (suivre le panneau P+R s’il n’a pas encore été bousculé par un véhicule). Ah, voilà les portiques d’entrée verts, le bouton-poussoir pour prendre un ticket et la rampe d’accès vers le niveau -5. Tiens, au -3, ils ont posé l’esquisse d’une fresque. Pour empêcher les regards caustiques sur les deux niveaux où il n’y a ni chat ni véhicule ? Continuons…
Depuis cinq ans, nous dénonçons dans les colonnes de Médor, du Soirmag et aujourd’hui sur le site de Nationale 4 l’ineptie que constitue cette boite à voiture de 2.300 places. Ça a été très cher à la construction, c’était en réalité destiné à faciliter l’érection d’un quartier résidentiel chic (Courbevoie et ses appartements à 300.000 euros) et cela ne facilite pas la vie des navetteurs vers Bruxelles, qui gagnent du temps en filant vers Gembloux, la Hulpe, Ottignies ou la station de métro Hermann-Debroux.
À ce stade, rien ne change : le vendredi 25 novembre, trois jours après l’ouverture, il y avait 57 voitures dans le parking qu’on nomme parfois P+R ou RER. À la sortie du parking, une automobiliste nous suivait. Mais elle venait de la zone « privée » où les résidents de Courbevoie jouissent désormais d’un accès direct à l’autoroute. Elles et eux, ils y gagnent, les proprios des logements chics. Lundi 28 novembre, pas mieux. 52 voitures. Mardi 29, y avait grève, nous n’avons pas été afin de ne pas biaiser la mesure. Lundi 5 décembre, après une semaine de grève, 59 voitures. Le 20 décembre, 64 voitures. Depuis octobre 2017, le compteur journalier n’a jamais dépassé le chiffre 65, selon nos coups de sonde. C’est simple à comprendre : une courbe plate comme la plage.
La SNCB, le gestionnaire du rail Infrabel, l’UCLouvain, la ville d’Ottignies, la Région wallonne, la province du Barbant wallon, son intercommunale in BW et les promoteurs immobiliers en charge du quartier Courbevoie affirment à l’unisson, ou presque, que le lancement du RER donnera son utilité au réservoir à voitures. Cette vision optimiste est contestée par des spécialistes de la mobilité : même avec le RER, la gare de bout de ligne de Louvain-la-Neuve ne paraît pas équipée[1] pour convaincre les navetteurs.
[1] Elle ne dispose pas d’une arrière-gare, il sera impossible d’y pousser le flux ferroviaire sans risque d’accident et la cadence des trains sur la ligne principale Namur-Gembloux-Ottignies-Bruxelles sera donc plus élevée sur le tronçon Ottignies-Bruxelles que sur l’axe indirect Louvain-la-Neuve-Ottignies-Bruxelles.
Cet article en deux volets est un puzzle co-construit sur la base de nos investigations de journalistes et grâce à des contributions provenant d’habitants ou acteurs et actrices de leur territoire. Qu’ils ou elles soient remercié.e.s pour leur aide.
À l’arrière de la gare de Louvain-la-Neuve, la bétonneuse et les bulldozers s’activent à nouveau. Bientôt s’y opérera un prolongement des voies ferrées de 75 mètres. L’objectif relayé par Infrabel est de « prolonger les quais et améliorer l’accès au parking P+R ». Faciliter l’accès des navetteurs au train ? Ah bon… Le fameux parking sous le quartier Courbevoie est vide depuis plus de sept ans, tandis que le service RER entre Ottignies et Bruxelles se fait toujours attendre. En fond de gare, le permis, lui, annonce des parois verticales capables d’« accepter (…) la surconstruction de bâtiments de type R+5+toiture ». Pour quoi, au juste ? L’objectif est-il réellement celui qui est annoncé ? Nationale 4 a mené l’enquête. Selon nous, les travaux en cours hypothèquent définitivement tout le potentiel intermodal de la zone, pourtant idéalement située en entrée de ville. Cela se passe sur les terres de l’utopie et de la « transition », avec le consentement des décideurs institutionnels et politiques. Chronique d’un échec annoncé.
La pluie, lancinante. Pas un chat sur le chantier ce jour d’hiver. C’est « intempéries » comme on dit dans le milieu. Nous sommes le 10 janvier 2023. Une pelle, figée dans le sable, fait face aux flancs de sable qui se ravinent. À ses côtés s’effilent les cinq lignes de 36.000 volts récemment déplacées vers les profondeurs – sur un dénivelé de 8 mètres tout de même. Sur la frange supérieure, des murs de pieux sécants [1] laissent couler au vent leur crinière de barres armées.
Louvain-la-Neuve est une gare RER (ou S) terminus. Depuis mai 2021 des travaux titanesques s’éternisent sur ce petit bout de territoire proche de la nationale 4, coincé entre l’arrière du centre commercial l’Esplanade et le plus grand parking relais du Benelux. Interrogés, les passants ne savent pas trop ce qu’il s’y passe. Certains pensent qu’on y agrandit l’Esplanade. Sur un panneau laissé au sol, Infrabel, le gestionnaire public des infrastructures ferroviaires, annonce y « prolonger les quais et améliorer l’accès au parking P+R ». Voilà déjà deux mois que la fin du match aurait dû être sifflée…
Alors que le parking-relais de la SNCB est aujourd’hui connecté à la E411, il attend toujours ses hypothétiques usagers, pour qui 2.350 places de parking ont été ouvertes et financées avec des deniers publics. Or, elles restent quasiment toutes vides. Et bien que de multiples éléments suggèrent qu’il se remplira difficilement à l’avenir [2], les pouvoirs publics s’obstinent à y dépenser de l’argent en prolongeant les rails et les quais de la gare toute proche. Pourquoi ? Plus personne ne semble aujourd’hui (oser) se poser la question, ou être en capacité d’y répondre de manière convaincante. On y reviendra dans le volet 2 de cette enquête.
En attendant, de nombreux éléments de cette prolongation semblent avoir été pensés en dernière minute ou tout simplement omis : le déplacement des impétrants, l’écoulement des eaux, l’accès des personnes à mobilité réduite (PMR)… Le budget est flou. Les avis externes n’ont pas été réellement intégrés (notamment celui de la Commission consultative d’aménagement du territoire et de la mobilité – CCATM). Beaucoup de soucis mal gérés, un manque de transparence évident : Nationale 4 vous propose une carte interactive pour essayer d’y voir clair sur ce chantier un peu étrange, censé s’achever en 2024.
Nous vous soumettons cette carte à points (cliquez sur un point, un bouton et vous verrez un texte s’afficher) en sollicitant au passage votre aide éventuelle. Une erreur ? Un désaccord ? Une information supplémentaire pour éclairer la mosaïque ? N’hésitez pas à nous envoyer un mail à nationale4@protonmail.com. Un conseil : renoncez pour une fois à votre smartphone et visualisez cet outil derrière un ordi. Ce sera mieux pour vos yeux…
Cet allongement de rails, est-ce une nouvelle arnaque à la mobilité ? Deux témoins nous donnent leur point de vue : Sébastien Combéfis, ex-président de l’Association des Habitants (AH) de Louvain-la-Neuve (2020-2021) et Cédric Evrard, ingénieur architecte, professeur à Saint-Luc/ESA, spécialiste en calcul des structures et résistance des matériaux. Habitants et navetteurs, ils cherchent tous deux des réponses au pourquoi de ces travaux qu’ils estiment « coûteux, inutiles et gâchant tout le potentiel intermodal de la zone ».
Construire un meilleur accès aux quais pour les usagers PMR du parking P+R : c’est une évidence pour eux. Mais ils poursuivent en choeur :
« Pourquoi devoir pour autant allonger les voies ferrées, construire de hauts murs et éloigner les trains du centre ? Pour répondre à quelle demande de transport ? A-t-elle été seulement évaluée ? La gare de Louvain-la-Neuve dispose déjà de quais aux normes (265m) [3] pour accueillir les trains RER les plus longs (3 rames Desiro, soit 240m). Pendant ce temps qu’en est-il du service RER, où sont ces trains fréquents et ponctuels qu’on nous a promis ? On les attend toujours… »
« C’est tout de même incompréhensible », poursuit Cédric Evrard : « On est en train d’investir ici des millions dans une infrastructure pour des usagers hypothétiques, alors que pour nous, les usagers existants, y a rien, sauf un quotidien de retards, d’annulations, de ruptures de charge, d’absence de fréquence… Quand nos gouvernants se décideront-ils à investir nos fonds publics dans un objectif de service plutôt que dans de lourdes infrastructures de ce type, inutiles et surtout irréversibles ? » s’interroge-t-il. En plus, disent-ils, cette prolongation des voies empêchera à l’avenir l’amélioration de l’accès au train pour tous les usagers. C’est l’espoir d’une intermodalité de haut vol qui s’évanouit d’un tour de bétonneuse. On vous l’explique maintenant.
« C’est fou… on est ici à la fois en entrée de ville et en gare de Louvain-la-Neuve. C’était l’endroit idéal pour y mettre une plateforme intermodale performante, pouvant amener au plus proche du réseau RER des navetteurs aux profils très diversifiés ». Sébastien Combéfis, nous tend la vue d’artiste réalisée par Gloria Scorier et publiée en accompagnement d’une carte blanche de La Libre[4]. Ce dessin qui se projette dans l’avenir illustre l’évidence et le florilège des arrivées possibles sur le site :
Au Nord, via le boulevard de Wallonie, les usagers des bus qui n’auraient plus à parcourir les 400 mètres qui séparent actuellement la gare routière TEC de la gare Sncb. Au Sud, au moyen d’un accès piéton de plein pied, tous les usagers piétons et PMR au sens large, poussettes, valisettes, passagers à cannes,… pourraient prendre le train sans devoir passer par des ascenseurs. De même tous les cyclistes de la ville et des villages voisins qui auront pris la N4, bientôt équipée d’un « corridor cyclable » [5], convergeraient vers ce même espace intermodal. Et puis bien entendu, les automobilistes de la E411 arriveraient via le P+R sous Courbevoie.
Tout cela au conditionnel. Cela aurait pu être un lieu de convergence idéal. Mais l’allongement des rails empêchera cette perspective réjouissante.
« C’était ici l’un des derniers lieux possible pour créer une connexion verticale douce entre les deux niveaux de la ville, poursuit Sébastien Combéfis. Un parking vélo proche des rails pouvait également y voir le jour. Nous avons consulté un ingénieur pour en étudier la faisabilité, c’était possible. »
Et Cédric Evrard de renchérir : « Et en ce qui concerne les finalités et effets du projet actuel, il vise uniquement à améliorer l’intermodalité voiture-train, à l’inverse du principe “STOP” qui hiérarchise les modes de déplacement en priorisant la marche à pied, les modes doux, les transports en commun puis seulement la voiture [6] et de la vision FAST 2030 adoptée par le gouvernement wallon en 2019 visant à diminuer la part modale réservée à la voiture [7] ; de plus, même sur cet aspect “voiture-train” il est voué à l’échec car ce n’est pas 70 mètres de quai en plus (car les trains eux devraient logiquement toujours rester garés côté “centre”) qui pousseront les gens à lâcher leur voiture pour le train mais bien un service ferroviaire efficace en fréquence et ponctualité. »
Tandis que la SNCB augmente ses tarifs et s’engage à « renforcer les gares comme lieux d’interconnexion avec les autres moyens de transport : tram, bus, métro, vélos, voitures » [8], sur le terrain, en gare de Louvain-la-Neuve, la prolongation qui s’y dessine n’atteindra non seulement pas cet objectif, mais elle l’anéantira définitivement.
[2] La bretelle d’accès de la sortie 8a de l’autoroute E411 en provenance de Namur-Luxembourg (d’où sont censés arriver les navetteurs automobilistes) a tout simplement été réduite de moitié par le service public de Wallonie, celui-ci ayant compris que le parking était largement surdimensionné. Il est prévu de réinjecter la part de budget récupéré au niveau du remodelage du rond-point N4-N25.
[3] Revalor 2018, p52
Les deux derniers épisodes sont un puzzle co-construit de nos investigations de journalistes, de contributions d’habitants acteurs et actrices de leur territoire et de voix d’experts lanceurs d’alerte.
Qu’ils ou elles soient remercié.e.s.
Sous nos yeux, la coûteuse prolongation des voies paraît inutile et dépourvue d’objectifs clairs. Elle empêchera toute possibilité d’arrière-gare pour les trains ou d’intermodalité pour tous les usagers. Comment en est-on arrivé là ? Pourquoi ? Nationale 4 vous explique le nouvel horizon qui s’ouvre à présent pour le propriétaire du terrain (l’UCLouvain) et les développeurs immobiliers avides de contrôler le toit de la gare.
Le 17 février 2023. Comme chaque jour de semaine, il y a soixante voitures garées au niveau -5, dont celle de Marc, commerçant à Louvain-la-Neuve [1]. Le parking SNCB de Louvain-la-Neuve, comptant 2.350 places, est désert. Cela fait plus de cinq ans que ça dure. Pourtant, maintenant, le parking se trouve connecté à la E411 et rien ne change.
Mais qu’à cela ne tienne, à la SNCB et chez Infrabel, deux sociétés publiques à 100%, on y croit encore. Tellement qu’on a décidé d’allonger les voies ferrées de 75 mètres vers le P+R. Car c’est bien sûr : c’est ce bout de rail manquant qui doit décourager les navetteurs. Pour Louise et Martin, des navetteurs de la E411 rencontrés ce vendredi 17 février, ce ne sont pourtant pas ces sept décamètres et demi effectués en moins d’une minute (en marchant à du 4 ou 5 km/heure) qui changeront leurs habitudes. Ils ne sortent pas de l’autoroute. À quoi bon venir se parquer ici si, à la sortie, il n’y a pas de train à prendre, qu’il faut changer à Ottignies, avec des correspondances en retard [2] ou carrément supprimées [3] ? De loin, ils auraient préféré une simple rénovation des quais actuels et qu’au lieu de cette rallonge de rail on leur mette des trains en plus, ponctuels et rapides (avec un parking pas trop cher…). [4]
Retour à mai 2020.
L’association des habitants de Louvain-la-Neuve (l’AH pour les intimes) interroge la pertinence des travaux annoncés. Aucun objectif clair n’a été défini, les comptes de la SNCB sont dans le rouge, c’est la crise et le télétravail a explosé. Les habitants répondent à l’enquête publique, envoient des courriers, interrogent les chefs de cabinets ministériels, à la Mobilité et à l’Aménagement du Territoire, tant au fédéral qu’au régional, demandent des rencontres sur le terrain, publient leurs interrogations dans la presse, introduisent un recours au conseil d’Etat. Rien n’y fait. Les délais s’éternisent, les réponses arrivent au compte-gouttes. « Les objectifs du projet – c’est surprenant – évoluent au fur et à mesure des échanges et finalement restent vagues ou ne tiennent pas la route », nous confie aujourd’hui l’ex-président de l’association, Sébastien Combéfis.
Décembre 2022.
Chez Nationale 4, nous interrogeons alors les mêmes pouvoirs publics ou subsidiés, par écrit. Des questions ouvertes, tout d’abord, portant sur leur motivation à prolonger les quais et le budget total du projet. Les porte-parole prennent la main, assez rapidement. Sauf chez le ministre écologiste Georges Gilkinet, en charge de la mobilité à l’échelon fédéral. Il est en somme le patron politique de la SNCB et d’Infrabel, sur qui son département exerce sa tutelle : lui ne répondra jamais et ce n’est pas faute d’avoir insisté. Le libéral Willy Borsus, responsable de l’aménagement du territoire wallon, ne se dit « pas concerné » alors qu’il a signé le permis. À la Ville d’Ottignies-Louvain-la-Neuve, on a « besoin de temps » pour répondre (cela fait plus d’un mois et nous attendons toujours). L’UCLouvain, une société privée bénéficiant de subsides publics, se demande pourquoi on veut lui poser ces questions et à qui on les pose. Infrabel et la SNCB restent dans leurs « prérogatives » et ne prennent pas le risque du détail. Quand les questions deviennent plus précises, le silence s’installe alors sur toute la ligne : « Quel est le besoin d’allonger », la question est pourtant simple, non ? Une seule certitude : il n’y a pas de chiffres, pas d’études. Allongerait-on pour allonger ?
Nationale 4 a rassemblé ici ses échanges bruts avec les instances publiques et l’UCLouvain, propriétaire des terrains. Nous vous laissons juger par vous-même la qualité de l’accès à l’information.
La motivation officielle qui justifie l’actuelle prolongation des quais tient en deux lignes sur le site d’Infrabel : une « amélioration de l’accès vers le P+R » et la possibilité « d’accueillir des trains plus longs ». Ok, nous allons analyser ça.
Lors de notre enquête, d’autres arguments ont également été avancés de manière formelle ou informelle (off the record) au gré des questions posées. Voici notre décryptage.
« Allonger pour améliorer l’accès piéton et PMR entre le P+R et les quais »
En quoi « améliorer un accès piéton et PMR » nécessite-t-il aussi « d’allonger des quais » ? Cet accès jusqu’aux quais existait déjà et il a été détruit au démarrage des travaux ! Il aurait pu être adapté aux personnes à mobilité réduite, non seulement en provenance du parking mais aussi de la ville (voir épisode 1). À moins qu’implicitement, pour Infrabel et la SNCB, « améliorer l’accès » signifie « réduire la distance entre le parking et les trains » ? Ce serait le monde à l’envers. On vous l’explique au paragraphe suivant.
« Allonger pour rapprocher les trains du P+R et des usagers automobilistes »
Cet objectif est d’abord énoncé par Infrabel puis vite mis sous le tapis, et pour cause : si l’on rapproche les trains du P+R, cela les éloigne des (nombreux) autres usagers venus du centre-ville. Comme Yasmine (qui vient à pied) et Cédric (à vélo). Ou comme David, qui vient de la gare des bus TEC, située à 400 mètres de la gare SNCB. Pour Cédric, notre cycliste, privilégier les automobilistes par rapport aux modes doux et aux transports en commun, cela va « tout à l’opposé du principe STOP, adopté par la Région Wallonne et aujourd’hui d’application dans toutes les gares belges ». Ce principe importé de Flandre impose aux politiques de mobilité de prêter d’abord attention aux piétons (Stappers), ensuite aux cyclistes (Trappers), puis aux transports publics (Openbaar vervoer) et finalement aux voitures individuelles et aux camions (Privé-vervoer).
« Allonger pour stationner des trains »
Un objectif évoqué par la SNCB qui restera sans détails et sans chiffres. Car c’est plutôt Ottignies le lieu-clé pour cette fonction de parcage des trains. C’est là-bas que se trouve la station de nettoyage. Et puis, si Louvain-la-Neuve était utilisée à cette fin, cela impliquerait en début de journée des trains plus courts et donc… plus éloignés du P+R. Pas de bol, on s’éloignerait d’un accès facilité aux usagers du parking.
« Allonger en prévision du développement futur de Louvain-la-Neuve »
Cet argument aujourd’hui avancé par la SNCB n’est pas très politiquement correct. En faisant croire que l’allongement et le parking bénéficieront aux habitants de Louvain-la-Neuve, l’entreprise publique se trompe soudainement de public-cible et détourne littéralement le P+R de sa fonction initiale : c’est bien l’inverse ; il s’agit d’attirer les automobilistes d’en dehors de LLN qui empruntent la E411 et vont travailler à Bruxelles.
La SNCB n’a pas su donner de chiffres pour étayer ce développement urbain hypothétique, reposant son argumentation sur un laconique « nous pouvons considérer que la ville et ses activités vont continuer à se développer » et qu’ « il est probable que dans quelques années les relations suburbaines (S8) doivent être opérées avec du matériel plus capacitif ».
Sa posture fait écho à celle de l’UCLouvain. Grâce au parking et à sa prolongation, l’université pourra profiter des cadences du RER (voire de trains IC – lire ci-dessous) pour ses propres travailleurs et étudiants venant à LLN, en tout cas ceux qui se rendent sur campus en train. Et ceux en voiture pourront se parquer dans le P+R devenu vide [5]. On est alors bien loin de l’objectif initial annoncé : amener du monde en train vers Bruxelles.
« Allonger pour ne pas être de ceux qui freinent le RER »
Ça, c’est l’argument des dirigeants politiques. La peur ancestrale de faire « capoter » l’accord initial pris il y a vingt ans. « Aller jusqu’au bout » quoi qu’il en coûte plutôt que d’envisager une adaptation des investissements en vue d’atteindre l’objectif initial : un RER efficace et au service de la population. Un argument sans aucune base objective qui sous-tend probablement non seulement cette prolongation impertinente mais aussi l’ensemble du projet du P+R.
« Allonger pour accueillir des trains plus longs »
La gare de Louvain-la-Neuve est une gare S ou RER – les deux termes sont synonymes. Selon le guide de référence Revalor, la bible technique de la SNCB pour la conception de ses gares, les gares S doivent disposer d’un quai de 265 mètres de long (Revalor p51 et p439). À Louvain-la-Neuve, on y est, à l’aise. Les trains S les plus longs y arrivent déjà. Ils sont constitués de trois triplettes Désiro – c’est le nom commercial des trains produits par le constructeur ferroviaire allemand Siemens AG. Ils atteignent une longueur totale de 240 mètres.
Infrabel, la SNCB et l’UCLouvain argumentent en disant qu’il faudrait pouvoir faire venir à Louvain-la-Neuve des convois de quatre Désiro, soit 12 voitures et 320 mètres – là on n’est pas loin de la longueur d’un TGV. En Allemagne, pour info, la longueur de référence des quais RER est à 210 mètres.
Cela nous apparaît contradictoire avec la nature d’un service RER. Dans une étude que nous avons retrouvée, Infrabel définit elle-même le « maximum technique d’accouplement » à trois rames ([7], p35). Mettre en service des trains d’une telle longueur de plus de 300 mètres, c’est oublier que le service S, ce sont des trains plutôt courts, qui s’arrêtent souvent et qui doivent disposer d’une capacité d’accélération accrue : 0,9 m/s² jusqu’à 45 km/h. Ce qui demande une solide puissance au démarrage et sollicite fortement le réseau électrique. À quatre rames, c’est bien simple : « On ferait sauter les plombs », affirme une source experte en mobilité ferroviaire.
Et puis, quatre rames Désiro, cela voudrait dire « doubler le nombre d’accompagnateurs pour le voyage », comme nous l’explique un professionnel du secteur. Or, il y a déjà des tas de trains qui ne démarrent pas « faute de personnel ». Sur quelles données techniques (ou illusions ?), les décideurs de la SNCB et d’Infrabel, par exemple, ont-ils basé leur argumentaire ? Plus de réponse, là.
« Allonger pour accueillir des trains IC »
L’argument suivant qu’on entend de la part des promoteurs du P+R jusqu’au cabinet du ministre wallon Philippe Henry, actuellement en charge de la Mobilité, repose sur une nouveauté : des trains rapides de type IC (Inter-City) qui feraient directement le trajet Louvain-la-Neuve – Ottignies – Bruxelles, sans plus s’arrêter dans les gares intermédiaires comme Rixensart, Genval ou La Hulpe. Un sparadrap désespéré pour conjurer le néant du parking ? Pourquoi pas… Sauf qu’un « service IC » ne veut pas dire forcément « long train » (un nouvel amalgame ?). Et qu’il conviendrait d’abord d’évaluer s’il y a de quoi remplir ces trains en deux arrêts seulement (LLN et Ottignies) et comment on y parviendrait. Histoire de ne pas rouler à vide. Une demande en tout cas considérée par la SNCB comme injustifiée d’un point de vue de la demande, nous souffle un contact expert en mobilité.
Et puis c’est sans compter sur le fait que depuis 2002, la SNCB migre sa flotte vers un maximum de trains à deux niveaux, dont toutes les voitures M7 dédiées au service IC. Les pouvoirs publics ont-ils tenu compte de cette option d’augmentation de capacité par la hauteur ? Aucun ne sait répondre. Il n’y a aucune étude à l’appui.
On le voit, les arguments se multiplient. À nos yeux, aucun ne parvient à justifier l’utilité de recourir à des trains longs et à consentir un tel investissement financier. Surtout, aucun chiffre n’a pu être apporté à la question principale : allonger les rails et les quais, d’accord, mais pour transporter combien de voyageurs, au fait ? L’absence d’analyse détaillée et actualisée des besoins pour dimensionner adéquatement l’infrastructure est surprenante, mais elle semble bien réelle. Un scénario qui « ne se verrait jamais en Suisse ou au Luxembourg », aux dires d’un des bureaux d’étude consultés.
Et si c’était la dalle imaginée sur le toit de la gare et non pas le rail en lui-même qui motivait cette prolongation ?
Petit tour dans l’histoire. En 1969, Louvain-la-Neuve a bénéficié d’un « double miracle », comme le raconte Pierre Laconte dans son dernier livre “Louvain-la-Neuve, à la croisée des chemins” [8]. Cet urbaniste fut membre de l’équipe de direction du Groupe Urbanisme Architecture (UA) au moment de la création de Louvain-la-Neuve. Le premier miracle a été offert dans le contexte du « Walen Buiten » (les francophones ont été priés de quitter Leuven) par le ministre national des Communications de l’époque, le social-chrétien flamand Alfred Bertrand : 5 kilomètres de voie ferroviaire et une gare, entièrement gratuits. Le second cadeau a été cédé par la SNCB à l’UCL. Les dirigeants de l’université éjectée ont reçu sur leurs nouvelles terres achetées dans l’entité d’Ottignies tous les droits de construction autour et au-dessus des voies ferrées. Ainsi, l’UCL pouvait-elle se projeter dans des développements immobiliers sur « dalle », au-dessus des voies de chemin de fer. Pour le meilleur et pour le pire.
Trente ans plus tard, en 1999, l’UCL a octroyé à la société immobilière Wilhelm & Co une « promesse d’emphytéose » sur la parcelle dite « R2 », couvrant la zone d’allongement des quais et qui devrait être affectée à des m² de bureaux. Ce n’est pas anodin. Wilhelm & Co a obtenu ce bonus en même temps que l’autorisation d’ériger le centre commercial L’Esplanade et son engagement parallèle à construire un bout de ville (la rue Charlemagne, surtout). Cette promesse, l’UCLouvain n’aura probablement d’autre choix que de l’honorer. Elle figure ainsi explicitement dans les plans dessinés lors de l’élaboration du Schéma d’Orientation Local (SOL) [9] qui prévoit aujourd’hui d’achever les grandes manœuvres immobilières en plein cœur de la cité universitaire. [10]
Un autre jalon décisif a été posé en 2020. Sans réelle surprise pour les initiés, le permis wallon délivré cette année-là à la société anonyme Franki, spécialisée dans le bâti sur pieux, contient une condition importante. La prolongation des quais en gare de Louvain-la-Neuve doit être assortie de ceci : la réalisation de parois verticales capables d’accueillir une « sur construction de bâtiments de type « R+5+Toiture ». Dans les plans, une « servitude d’appui » est également dessinée, réservant la place pour les piliers du potentiel bâtiment supérieur. C’est du béton lourd, mais on reste dans le subtil. Il fallait la dénicher, cette clause. Personne n’en fait évidemment de publicité. Aucune des instances publiques ou privées à qui nous avons tendu la perche ne nous a rappelé ces quelques mots.
Une fois la prolongation terminée, il y aura quelques m² à valoriser tout là-haut. Des « développeurs » ont déjà pointé leur nez : les noms d’Eaglestone, Eckelmans et AG Real Estate ont été évoqués. Certains ont quitté la course, d’autres y entreraient. Pour eux, c’est bien l’entièreté du périmètre situé à l’Est de la ville qui les intéresse, comprenant également les parcelles d’extension du centre commercial au-dessus des rails actuels et en direction de la pompe à essence Total. Une nouvelle poule aux œufs d’or, juste à côté du quartier Courbevoie.
Sur ces espaces stratégiques, comme on dit dans l’immobilier, l’aubaine est inscrite dans les règlements d’urbanisme communaux : il n’y figure aucun plafond pour la densité maximale de logements à l’hectare. Ainsi, Courbevoie a-t-il pu monter à 250 logements/hectare – comme au centre de… Paris. Le gain pour l’UCLouvain, propriétaire des terrains ? Elle a fait rentrer quelque 18 millions d’euros dans les caisses de son bras immobilier, la filiale INESU. Celle-ci est constituée sous forme de société à finalité sociale, cela ne s’invente pas… Comment l’Université a-t-elle pu à ce point valoriser ses terrains ? C’est grâce à l’application de la (miraculeuse) Redevance Unique d’Infrastructure (RUI) qui s’est négociée en 2010 à 350 euros le mètre carré habitable pour le projet Courbevoie. À ce niveau-là, on comprend que nos questions crispent un peu.
Nous avons pris à notre tour notre petite calculette pour l’affaire qui nous occupe. Vous suivez ? Considérons d’abord le nombre de mètres carrés à rentabiliser. La zone sur laquelle les rails sont prolongés de 75 mètres est estimée par l’application WalOnMap à 3.000 m² au sol. Comptons des constructions sur six étages, comme pour le quartier Courbevoie. Aux prix de 350 euros/m² – ceux en vigueur pour le précédent allongement de la dalle Courbevoie – cela donnerait à l’INESU et donc à l’UCLouvain un nouveau pactole de 6,3 millions d’euros.
Bref, cet allongement a priori inutile et cher payé (environ 6 millions d’euros, comme on l’a vu dans notre épisode 1) serait-il uniquement motivé par la valorisation financière de cette fameuse dalle piétonnière de Louvain-la-Neuve et par l’empressement des promoteurs immobiliers à l’approche du Stop Béton décrété en Wallonie et dans toute l’Europe ? Rejouerait-on ici une variation de la pièce « P+R & Courbevoie » ?
L’UCLouvain ne cache pas son incapacité à payer elle-même cette extension de « dalle » qui néanmoins guide toute sa stratégie immobilière et lui rapporte gros. Depuis 2005, elle recherche des opérateurs privés (Wilhelm & Co puis le spécialiste des centres commerciaux Klépierre, pour l’Esplanade et la rue Charlemagne) ou des partenaires publics (la SNCB-Holding pour le P+R, Infrabel pour la rallonge des rails) afin d’assumer la construction de cette couverture de béton. « Il y a confusion d’intérêts et opportunisme », nous souffle un observateur aguerri. « On joue sur les périmètres d’action du secteur public. Ici, on a les cheminots sous la main, utilisons l’enveloppe publique pour du développement urbain. L’UCL, la SNCB… on se dit que c’est un peu la même chose, que c’est du public somme toute, qu’on peut donc estomper les frontières… Ce fut la même chose pour la gare de Mons, de Liège ou de Charleroi où l’on vient de “refaire” l’esplanade devant la gare pour “nourrir” les grands dessins urbains de la Ville. Sauf que les investissements in fine ne vont pas à la mobilité ». Et d’ajouter : « C’est bien simple, là où il y a peu d’influence politique, les gares sont construites ou rénovées sans chichis. Dans cet ordre d’idée, il est cocasse d’ailleurs de constater qu’à Ottignies, pourtant toute proche et concernant le même public et la même commune que Louvain-la-Neuve, il a fallu 20 ans pour dégager un budget et remettre la 1er gare de Wallonie aux normes.»
Les deux derniers épisodes sont un puzzle co-construit de nos investigations de journalistes, de contributions d’habitants acteurs et actrices de leur territoire et de voix d’experts lanceurs d’alerte.
Qu’ils ou elles soient remercié.e.s.
En 2003, l’« acte de foi » est posé : à la gare de Louvain-la-Neuve, le parking sera géant et il aspirera les voitures roulant sur la E411 vers Bruxelles. Vingt ans plus tard, l’immense P+R est vide et les pouvoirs publics s’obstinent. C’est l’histoire d’un compromis politique, d’un effet d’aubaine et aussi d’un gouffre financier pour la collectivité. Une histoire de pouvoir et d’argent qui rappelle les dérives en gare de Liège et de Mons. LLN, gare terminus. Avec quelques documents brûlants retrouvés dans des archives, quelques déclarations publiques ou anonymes Nationale 4 a tenté de reconstituer la pièce éminemment politique, telle qu’elle a pu se jouer de 2003 à aujourd’hui. La fin de l’arnaque, c’est maintenant.
C’est d’abord l’histoire d’une ville-Région qui étouffe sous les embouteillages au carrefour entre le XXème et le XXIème siècle. Pour désengorger Bruxelles, le Réseau-Express-Régional (le RER) et la mise à 4 voies de la ligne L161 entre Bruxelles et Ottignies prennent forme en mars 1999 . « Dans le doute », comme l’expliquent des ingénieurs off the record, les quais des futures petites gares RER entre Ottignies et Bruxelles, sur cette ligne L-161, sont allongés à 350 mètres. La grande vitesse sur le rail belge, elle a été négociée sous l’ère Dehaene. Le RER et cette mesure-là ont été mis en oeuvre sous le gouvernement du libéral Guy Verhostadt, sans certitude qu’un jour, un train express s’y arrêtera. Sait-on jamais. À Louvain-la-Neuve aussi, on élargit alors que cette gare n’est même pas située sur la ligne L-161, celle des longs trains IC ! « Délire d’ingénieur », nous lance l’un d’entre eux. Étaient-ils d’ailleurs bien conscients que Ottignies et Louvain-la-Neuve étaient deux gares distinctes ?
En 2003, une étude d’incidences relative à la mise à 4 voies de l’entièreté du tronçon Bruxelles-Ottignies est menée. C’est alors qu’émerge l’idée d’un grand parking relais dans la zone centrale du Brabant Wallon, à 30 kilomètres de Bruxelles. Les parking-relais en entrée de ville, c’est tendance à ce moment-là. Un « gros aspirateur à voitures », dit-on, dégagera l’un des axes majeurs reliant la Wallonie à Bruxelles. C’est simple à expliquer pour les politiques, facile à comprendre pour la population.
Deux options sont proposées par le bureau d’études d’incidences, toutes deux à hauteur de Louvain-la-Neuve : un parking de 4.000 places dans la prolongation des quais et à l’intérieur des murs de la petite ville ou la création d’un parking de 3.000 places en dehors de la cité, collé à l’autoroute E411. L’association IEW (Inter-Environnement Wallonie, une organisation indépendante du pouvoir) attire alors l’attention sur la nécessité d’une « réflexion globale concernant la mobilité à Louvain-la-Neuve et l’offre globale de parkings y existants déjà ». Il suffisait d’aller voir. Beaucoup de grands parkings souterrains de Louvain-la-Neuve sont vides depuis des décennies.
Cette même année 2003, la donne change sur un plan politique. Depuis 1999, les écologistes sont au pouvoir – pour la première fois – à l’échelon fédéral, en Région wallonne et aussi à Ottignies-Louvain-la-Neuve. Au niveau fédéral, cette expérience va se clôturer sur un douloureux échec en juillet 2003. Les libéraux et les socialistes poursuivent sans eux. Ecolo est laminé. Il paie notamment les déroutes imposées à la ministre fédérale de la Mobilité Isabelle Durant.
Jusqu’aux régionales de 2004, les Verts en Wallonie s’apprêtent à vivre une période de rémission. Ils restent au pouvoir un an de plus. Au même moment Liège, Mons et Charleroi avancent sans doute sur leurs dossiers ferroviaires (les gares cathédrales ou le raccordement de l’aéroport pour Charleroi par exemple). Il est donc de bon ton d’avoir un gros investissement ferroviaire pour le Brabant Wallon où les Verts ont réalisé de bons scores électoraux.
La scène que nous racontons ici a lieu au cabinet du ministre wallon des Transports, de l’Énergie et de la Mobilité José Daras (Ecolo). Cela discute ferme, ce jour-là. Une source proche de l’UCLouvain nous écrit ceci : « C’est après trois réunions de concertation en présence de tous les acteurs concernés (SNCB, SRWT, Admin des Routes, autorités communales, UCL) rassemblés sous l’égide du chef de cabinet du ministre des communications José Daras, et après avoir évalué la proposition du PCM (Plan Communal de Mobilité, Ndlr), et accepté les conditions émises par l’UCL, que l’option actuelle a été retenue comme unique compromis acceptable.» À ces réunions au cabinet de José Daras, il y avait encore, selon cette source, Jean-Claude Nihoul, le bourgmestre de Fernelmont, un relais incontournable entre l’UCL et le PSC/cdH (aujourd’hui Les Engagés) et Jean-Luc Roland, le bourgmestre écologiste d’Ottignies-LLN. Le mot est lâché : l’unique « compromis » acceptable. C’est donc l’option (hallucinante) du méga parking intra-muros qui est retenue.
Aubry Lefebvre, l’administrateur délégué de Thomas&Piron Bâtiment, raconte la suite dans les colonnes de LaLibreEco [9] : « L’enjeu était alors de réaliser un parking de délestage pour les navetteurs. Au fil des échanges, l’université décide de coupler le projet de parking avec un projet résidentiel afin de tirer profit de l’opportunité de créer du logement supplémentaire. » Jusqu’à ce que, cinq ans après, en 2008, l’UCL lance un appel à projets pour développer le parking, mais aussi, et surtout, un futur quartier de quelque 460 logements. Un marché de gré à gré remporté au prix fort par les deux partenaires privés Besix Real Estate Development et Thomas & Piron Bâtiment. Pour l’UCLouvain, propriétaire des lieux c’est d’une pierre deux coups : valoriser ses terrains et se doter du standing de ville universitaire “RER”.
En octobre 2010, une étude d’incidences sur l’environnement du projet de parking SNCB est menée par le bureau ARIES. La partie mobilité et le dimensionnement du parking ne font pas l’objet d’une étude particulière et l’étude conclut que… tout roule. ARIES ? C’est ce bureau d’études qui aurait mal évalué le risque de ruissellement en amont du quartier Courbevoie (lire l’article “Parking inondé, étude cachée”). Passons…
Les citoyens demandent alors à l’association Inter Environnement Wallonie de vérifier les données. Sa chargée de projet en mobilité se met au boulot et calcule. Le constat est assez vite sans appel : le parking est surdimensionné. « Un coup d’œil sur les autres P+R suffit à comprendre qu’un dimensionnement pertinent se mesure en centaine de places, pas en milliers » confirme aujourd’hui une source experte en mobilité. « Gembloux n’a encore jamais réussi à remplir son parking de 1.200 places, le plus grand de Wallonie après LLN. Et partout ailleurs les P+R ne font que quelques centaines de places. Le bon sens aurait été de commander de phaser (commencer à 300 par exemple, puis éventuellement étendre).»
C’est gênant pour le gouvernement wallon, la SNCB, l’UCL. Et ça provoque un branle-bas-le-combat chez ARIES. Un complément d’études spécifique en matière de mobilité sort en décembre 2011. Ouf ! On a trouvé d’autres précieux navetteurs : ceux des communes aux alentours, dont Wavre et Mont-St-Guibert, viendront combler le grand vide. Chez le ministre wallon de l’Aménagement du territoire Philippe Henry (Ecolo), c’est le soulagement. L’« acte de foi » qui fonde le RER, l’élargissement des voies et la création d’un mega-parking est posé.
En 2013, des voix dissonantes s’élèvent pourtant au sein de l’administration wallonne. En vain.
En avril de cette année-là, Mathieu Nicaise, ingénieur architecte chez Technum-Tritel, un bureau d’études spécialisé dans la mobilité, s’exprime à propos du RER dans les colonnes de la revue d’urbanisme Espace-Vie : « Il serait nécessaire d’avoir des arbitrages, politiquement douloureux bien évidemment, concernant certains travaux, comme des parkings (Louvain-la-Neuve) ou des gares (Mons), que l’on peut sans doute repousser de quelques années et qui sont moins prioritaires que l’amélioration de l’offre des trains. Une remise en cause du calendrier, et du projet, devrait être étudiée, afin d’accélérer la mise en service des 4 voies, le seul élément indispensable pour accroître l’offre et la qualité du service. »
En juin 2013, le bureau Technum/Tritel dépose les conclusions de son analyse du plan pluriannuel du groupe SNCB pour la période 2013-2025 et il recommande « la plus grande prudence avant d’engager ces importants investissements, qui, pour Mons, Louvain-la-Neuve et Charleroi, monopolisent de surcroît des ressources en début de plan » (p99). Et il suggère « de reporter ou redimensionner certains projets non strictement indispensables à la pérennité du système ferroviaire en Wallonie ».
En septembre 2013, l’analyse conduite par la Cellule Ferroviaire, une instance d’études et de conseil pour les gouvernants, enfonce le clou dans le cercueil du parking de Louvain-la-Neuve : « Pourquoi construire 2500 places (et construire les routes d’accès nécessaires estimées à 7 millions à charge de la Région wallonne) en 2014, si l’offre ferroviaire n’augmentera qu’en 2026. En outre (…) le parking sous Louvain-la-Neuve dispose encore de suffisamment de places pour répondre à la croissance tendancielle de la gare. Il n’y a dès lors actuellement aucune raison de construire ce parking (…) Ce projet est un luxe comparé aux enjeux. »
Alors que les travaux du parking n’ont pas encore débuté, la Cellule Ferroviaire insiste encore et rappelle que la convention qui lie les différents partenaires est obsolète. L’article 20 du contrat précise en effet que « si l’ensemble des permis nécessaires à la réalisation du Projet n’a pas été délivré au plus tard le 30 juin 2011, ce contrat sera résilié de plein droit et le Projet abandonné (…) La Région wallonne a donc tout intérêt à reporter ce projet (p 172) ».
Mais rien n’y fait. Les travaux du P+R de Louvain-la-Neuve commencent le 1er décembre 2013 (l’inauguration aura lieu en octobre 2017).
En juin 2016, alors que le projet immobilier Courbevoie, lui, n’a pas encore démarré, la Cellule Ferroviaire revient à la charge. Elle propose, comme préconisé par le plan Tritel en 2013, au moins de créer en fond de voies une véritable arrière-gare pour fluidifier le trafic ferroviaire dans cette station terminus seulement équipée de trois voies (voir le schéma ci-dessous). Une telle structure permettrait un départ et une arrivée simultanés de trains, permettant ainsi d’atteindre les cadences élevées propres au RER (et d’augmenter l’attractivité du parking). Cette proposition restera lettre morte, l’UCLouvain ne voulant pas laisser davantage de terrain à Infrabel-SNCB. Aujourd’hui elle est rendue impossible par l’arrivée du projet immobilier voisin, sa rue de la Flèche et son parc. Il faudrait casser les fondations du paquebot pour corriger cet oubli. Un coût colossal, on l’imagine.
En 2017, la Cour des Comptes rend son rapport d’analyse sur la mise en œuvre et le financement du RER dans lequel le projet de P+R LLN est inclus. L’organe de contrôle financier ne mâche pas ses mots et déclare sans prendre de pincettes que « la convention RER était un accord d’orientation politique de mobilité qui ne reposait pas sur une étude de faisabilité technique » et que « la définition des objectifs du RER n’a pas été fondée sur une analyse détaillée et actualisée des besoins en matière de mobilité ». Bang. C’est rude. Mais lorsqu’il s’agit de ferroviaire, les dirigeants politiques accordent-ils encore de l’attention aux avis des instances de contrôle ?
Le 12 février 2020, devant les conseillers communaux et la Commission Consultative Communale d’Aménagement du Territoire et de Mobilité (CCATM) de la ville d’Ottignies-Louvain-la-Neuve, l’expert Pierre Tacheron, du bureau Transitec, osera dire tout haut ce que beaucoup pensent tout bas : « Ce P+R a fait l’objet d’une mauvaise analyse, ce sont effectivement 2.500 places vides qui ont été construites. Nous en avons compté 120 aujourd’hui. Ce projet n’a pas été étudié et est uniquement le fruit d’une décision politique. »
Ni la SNCB, ni Infrabel, ni la Ville d’OLLN, ni l’actuel ministre wallon de l’Aménagement du territoire ou son collègue exerçant la tutelle sur la SNCB et Infrabel à l’échelon fédéral n’ont donc accepté de justifier l’actuelle et prévisible désaffection du parking de Louvain-la-Neuve.
À la fin du mois de février 2023, face au questionnement de quelques journalistes, habitants ou experts quant à ce fameux P+R et à la prolongation des quais, les avis exprimés de manière informelle restent partagés : les uns confirment l’absurdité d’un compromis politico-immobilier sur le dos de la mobilité, les autres restent persuadés de l’utilité future de ce parking. Car vous comprenez, disent ces derniers, « l’outil crée la fonction » et « il faut faire confiance au politique ».
Avec sa nouvelle rallonge, ce parking peut-il servir un jour ? Retrouvons les pneus de Louise.
Louise, c’est vraiment le profil type du public visé par le P+R. Elle habite dans l’entité d’Éghezée, à une cinquantaine de bornes de Bruxelles, où elle bosse. À hauteur de la sortie 8a de l’E411, le matin entre 8 et 9 heures, c’est déjà la remontée de file sur la bande d’arrêt d’urgence de l’autoroute. Il n’y a aucune raison objective de croire que ça peut s’améliorer d’ici au départ du prochain train RER. Bouchon sur l’autoroute à 25 kilomètres de sa cible, bouchon vers le parking, pourquoi sortir ? Elle le fera pour nous et pour le test.
En passant sur le pont au-dessus de la E411, Louise a vite compris l’embouteillage des heures de pointe en direction du P+R : la bretelle et le pont au-dessus de l’autoroute n’ont pas été dédoublés, l’accès au parking ne dispose pas d’une voie spécifique, les flux des gens qui viennent bosser à LLN et qui veulent entrer dans le parking se mélangent. Ça, c’est une idée du Plan Communal de Mobilité 2020, à la page 33. Ayant compris que le parking était surdimensionné, les experts en mobilité de la ville et les pouvoirs publics ont fait cette proposition. En attendant, Louise, elle, patiente. Pare-chocs contre pare-chocs. Sur ces 300 mètres, elle a perdu 5 à 7 minutes, selon les jours.
Descente dans le parking, enfin. Fameux dénivelé. En bas, arrêt aux 4 barrières. Il y en avait dix de prévues à l’initial quand on rêvait encore aux 1.100 voitures/heure de pointe. Après le scan, c’est la toupie. Ça tourne sec jusqu’au moins 5, un des trois étages dédiés au rail. Faut bien viser, descendre très concentré et à vitesse adaptée les étages du parking jusqu’au -3/-4/-5. Puis se garer tout au fond. Sortir du parking et se rendre sur les quais, marcher jusqu’au train, le long des rails. Temps perdu dans le grand labyrinthe et qui le restera avec le RER : 5 à 10 minutes.
Sur les trois ou quatre trains qui passent chaque heure, le matin, un lui impose de changer à Ottignies – c’est ce qu’on appelle la rupture de charge, qui fait gaspiller 5 autres minutes, au minimum – et deux continueront mais s’arrêteront à toutes les gares avant d’arriver à Bruxelles… Peu importe l’option choisie elle sait aussi qu’à Bruxelles l’attend encore la lente jonction Nord-Midi.
Au total, par rapport aux alternatives guidant vers Ottignies ou Gembloux, Louise n’a rien à gagner en descendant dans le P+R de Louvain-la-Neuve. Elle risque d’y perdre 10 à 15 minutes au minimum, même lors de l’avènement du RER. Et une dizaine de minutes, c’est nul à dire pour un navetteur censé patient, mais ça fait la différence.
Martin, lui, ne tergiverse pas. Chaque matin, il décide de rejoindre directement l’ « autoroute à trains », la L-161 à Ottignies pour y prendre un IC. Comme d’ailleurs Cédric avec son vélo, quand bien même il habite lui à Louvain-la-Neuve !
Martin aurait aussi pu se garer soit sur un parking de délestage près d’une sortie le long de la E411 soit ailleurs à LLN pour prendre un bus Conforto ou un TEC Express. Ces bus ont depuis peu une voie dédiée sur l’autoroute E411, là où commencent les bouchons, et ça file, surtout quand il faut rejoindre le Sud ou l’Est de Bruxelles.
Basile, qui vient de Walhain, a fixé son choix lui aussi : il part en sens inverse de Bruxelles sur la N4, se dirige vers Gembloux sans un coup de frein, même si c’est plus loin. Il sait qu’il aura de la place dans le parking de 1.200 places et que son train ne devra pas s’arrêter à toutes les gares de là à sa destination. Il est a priori assuré d’une place assise, ce qui lui permet de travailler pendant une petite heure.
Tandis que l’UCLouvain lance sa campagne pour la « transition », qu’Infrabel mise sur la « mobilité durable », que la SNCB ambitionne l’ « intermodalité » et qu’Ecolo fait du « service ferroviaire » un de ses chevaux de bataille, à l’arrière du décor, les croyances, l’opportunisme, l’effet d’aubaine et l’obstination hypothèquent le changement de paradigme. Un paradoxe se renforce ainsi sous nos yeux.
Côté pile, l’investissement dans des infrastructures coûteuses. C’est l’image de ces super-bulldozers qui creusent le sable ancestral en fond de gare, alignent sans relâche des pieux sécants, coulent du béton, arment des murs de soutènement.
Côté face, c’est une offre de trains qui se dégrade. Ce sont des trains de pointe tout simplement annulés (poussant jusqu’au concept de la « suppression anticipative »), des trains qui ne démarrent plus faute de personnel, des retards qui se multiplient. Même dans la sphère publique, on le reconnaît d’ailleurs. Ainsi Infrabel a annoncé tout récemment le risque imminent d’une « perte de fiabilité » du service étant donné l’assèchement des ressources budgétaires [13]. Si même le gestionnaire des infrastructures le dit…
Louvain-la-Neuve, sa gare, son arnaque, est-ce un cas isolé ? Non, une même mécanique semble à l’œuvre à Bruxelles avec le projet du Métro3. Les exemples ne manquent plus pour inviter à penser autrement : sortir de ses certitudes, réfléchir en fonction des besoins, valoriser au mieux l’existant, imaginer un lot de petites solutions adaptables dans le temps et dans le respect de ce qui est soutenable pour la nature, l’homme et la société. “Afin d’éviter de dépenser des milliards pour des infrastructures qui seront obsolètes quelques années plus tard car inadaptés aux objectifs à poursuivre ou dépassées par les évolutions sociétales” comme l’indiquait l’actuelle ministre de l’environnement Céline Tellier, à l’époque où elle était chargée de mission chez IEW, dans une analyse critique sur la mobilité publiée en 2016.
[1] Avec la prise d’un abonnement « virtuel LLN-Ottignies » cela lui revient tout compris à 78 euros/mois
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